Antisocialites
Alvvays
Quand je lis un de nos rédacteurs dire au sujet de Grizzly Bear que les Américains s’emploient à « redessiner les contours de la pop en 2017, à une heure où tout semble avoir déjà été maintes et maintes fois ressassé », forcément ça me parle. Et quand j’entends un autre s’extasier devant la capacité de John Dwyer de Thee Oh Sees à pondre des disques colossaux malgré une productivité qui devrait inviter à la méfiance, ça me touche autant que ça suscite chez moi une jalousie certaine.
Car la plupart du temps, j’écoute de la musique pour qu’elle déclenche en moi des émotions fortes, qu’elle m’ébranle au plus profond de mon petit être. Le problème avec ce disque d’Alvvays, c’est qu’il est à l’exact opposé de tout cela. Au moment où je rédige ce papier, ce deuxième album des Canadiens a dû pénétrer mes conduits auditifs une bonne vingtaine de fois sans jamais provoquer le genre de chatouillis qui accompagnent la première comme la centième écoute de ces disques que je chéris.
Entendons-nous bien, Antisocialites est loin d’être un mauvais disque. C’est même tout le contraire: la blonde Molly Rankin et sa bande savent écrire de putain bonnes chansons, ont un sens aigu de la mélodie qui vous rentre instantanément dans le crâne, et ont parfaitement intégré les codes des genres qui infusent manifestement leur processus créatif. En effet, s’en allant autant puiser dans la dream pop que dans le shoegaze, Alvvays travaille une matière bien dans l’air d’une époque qui pue tellement la merde et l’inconnu qu’elle aime se réfugier dans une musique réconfortante, terriblement balisée et susceptible de ne pas froisser trop de sensibilités. Si la qualité d’un disque devait se juger à l’aune de ces seuls critères, Alvvays nous aurait incontestablement sorti l’un des albums de 2017, porté tout en haut des charts par des singles aussi imparables que « Not My Baby », « Dreams Tonite » ou « Plimsoll Punks » .
Mais voilà, à force de nous pondre des disques qui émeuvent davantage par leur capacité à saisir leur époque qu’à la définir, Alvvays devient une hype interchangeable et marketée pour cette génération Pitchfork dont on fait un peu tous partie. Antisocialites rejoint alors cette longue liste de disques honnêtement inattaquables sur leurs qualités intrinsèques, mais destinés à être assez vite oubliés. C’est dommage, mais néanmoins très utile pour ces moments où écouter de la musique ne doit pas être une activité mobilisant trop de neurones. Et vu les cadences infernales que nous impose aujourd’hui la société, ils ne manqueront pas.