Annabel Dream Reader
The Wytches
Régurgités par la scène hardcore de Brighton, Wytches déboule en cette fin d'été avec un rock sombre, dont le code génétique descend à la fois du grunge estampillé Sub Pop, de la scène psychobilly anglaise et de l'indie west coast des années 90'. La première livraison du trio, joliment intitulé Anabel Dream Reader, est un petit bijou d'urgence juvénile, de frustration acnéenne canalisée dans des accords mineurs dégoulinants, qui agissent comme l'excroissance lacrymale parfaite du chanteur, auteur et compositeur Kristian Bell. Voilà le tableau : les Arctic Monkeys connaissent le succès depuis presque dix ans. La presse est unanime pour dire que leur dernier album AM leur a ouvert les portes de la gloire planétaire grâce à des tubes plus FM que jamais, taillés pour les stades d'outre-Atlantique qui leur étaient refusés jusqu'ici. Mais il semblerait qu'Alex Turner ait laissé dans son foyer anglais un petit frère maudit, un fœtus estropié et privé de la lumière du jour. Attendant son heure, Kristian Bell a le même ADN musical que Turner mais a trempé sa guitare et sa plume dans du vitriol, en se faisant la promesse de goûter lui aussi aux joies de la reconnaissance critique. Mais Bell n'en a rien à foutre, lui, de passer aux MTV Music Awards. Si Turner est loué pour ses textes magico-réalistes traitant de l'amour comme un Gabriel Garcia Marquez imbibé de culture pop, le chanteur/guitariste des Wytches sera le Hubert Selby Jr. du songwriting postmoderne. Car au fil des morceaux, ce petit génie susurre puis éructe, hurle à la mort puis sombre dans le désespoir, meurt 12 fois avant de renaître plus inquiétant et plus dérangé que lors de sa vie précédente. Dans le très grunge "Wire Frame Mistress", il se réincarne en une sorte de Lux Interior doté du registre vocal d'un crapaud agonisant, déguisé en Zorro et provoquant Machete dans un duel de Tequila Boom Boom jusqu'à ce que mort s'ensuive. Cela n'empêche toutefois pas le trio de s'essayer à l'exercice toujours compliqué du ralentissement de tempo dans un album lancé à toute berzingue, comme on peut le constater dans les ballades très convaincantes "Weights and Ties" et "Summer Again". La production, elle, est assurée par Bill Ryder Jones (l'ex-guitariste de The Coral dont on salue l'éclectisme) et enveloppe les morceaux d'une authenticité que seule une console huit-pistes analogique permet. Par ailleurs, le fait que l'intégralité de l'album ait été bouclé en 5 jours devrait convaincre les plus sceptiques quant à la sincérité de ces trois voyous qui ont été biberonnés au DIY, comme le démontrent les quelques vidéos visibles sur Youtube. Ainsi, l'on tient ici une version totalement suintante et jouissive du Humbug des Arctic Monkeys (le splendide morceau "Fragile Male"), filtrée à travers, pêle-mêle, du Cramps, du Nirvana et du Modest Mouse des débuts, avec ces parties vocales qui donnent chaque fois l'impression que Bell est sur le point d'aller dans un refuge pour chats pour se confectionner des pantoufles avec leurs boyaux. A prendre avec des pincettes si l'on se sent au bord du gouffre...