Animal Feelings
Rafter
L'auto-tune, le vocoder et la talkbox sont des instruments très dangereux qu'il ne faut pas mettre entre toutes les mains. Il faudrait même penser à réglementer avec la plus grande rigueur leur utilisation quand on voit les massacres que nous infligent de trop nombreux laborantins de bas étage qui pensent ajouter une petite touche de fun à des compositions d'une banalité autrement confondante. Malheureusement, tout le monde ne s'appelle pas Stevie Wonder, Chromeo ou Kanye West et chaque année, les catastrophes se comptent par dizaines. Et à l'écoute du titre qui ouvre Animal Feelings, ce nouvel album de l'Américain Rafter, on serait tenté de verser cet artiste emblématique du label Asthmatic Kitty dans la catégorie des fous-furieux qui n'auraient jamais dû toucher à un logiciel d'auto-tune, ne serait-ce que parce qu'auto-tune et pop ne font pas spécialement bon ménage. Et puis les écoutes se succèdent, et ce qui semblait être une incongruité prend petit à petit place dans un ensemble plus large, et tout devient plus clair. Rafter n'a rien d'un imposteur, et tout d'un artiste qui sait très bien ce qu'il fait, quitte à prendre de gros risques.
Car forcément, lorsque vous êtes un producteur bossant pour Sufjan Stevens, les Fiery Furnaces ou les Castanets, que vous avez habitué votre public à des disques de folk bordélique et que du jour au lendemain vous vous lancez à corps perdu dans l'écriture d'un bazar qui aimerait faire le grand écart entre la pop en technicolor du Yeasayer version 2010 ou d'Of Montreal et le R&B grand public style Justin Timberlake et Rihanna, les chances de faire l'objet de moqueries en tous genres sont assez grandes. Comme celles d'accoucher d'un OVNI attachant qu'on ne peut s'empêcher d'examiner sous toutes les coutures. Car oui, avec ses tubes un tantinet boiteux, ses textures riches, ses ambiances suaves et ses rythmiques chaloupées, Animal Feelings respire la coolitude et la communion par tous les pores. Et s'il est des disques qui sont fait pour être découverts dans l'intimité d'une pièce, il en est d'autres, comme Animal Feelings, qui ne demandant qu'à être partagés et célébrés la mousse fraîche à la main et la clope au bec, entourés de quelques potes qui ne se formaliseront pas devant les expérimentations parfois inattendues d'un Rafter jamais à court d'idées farfelues. Probablement pas indispensable, mais chaudement recommandé quand même.