… And Then You Shoot Your Cousin
The Roots
On peut dire que les membres de The Roots ne chôment pas. Outre leur activité régulière en tant que prestigieux backing band du Tonight Show de Jimmy Fallon, et après leur album collaboratif avec Elvis Costello sorti il y a à peine huit mois, le collectif de Philadelphie nous livre ce printemps son onzième album studio. Un nouvel effort qui désarçonne à la première écoute : c’est la voix de Nina Simone que l'on entend dès les premiers instants, tout droit tirée de la bande originale du film de 1959 Middle of the Night, et il faut attendre presque la moitié du deuxième morceau avant que les rimes de Black Thought nous assurent que l’on est bien sur un disque de The Roots.
Dire que les membres du groupe sont peu présents sur la partie vocale relève en effet de l’euphémisme. Ici, ils se font metteurs en scène plutôt qu’acteurs, invitant de nombreux artistes à s’occuper des lyrics et du chant : la galette ne compte qu’un seul titre sans featuring, et encore en admettant que Dice Raw, bien que crédité à part, fasse partie intégrante de la bande. On salue d’ailleurs la prise de risque du combo qui, alors qu’il travaille au quotidien avec la crème de la crème musicale actuelle, ne fait appel qu’à des noms relativement confidentiels au lieu d’assurer ses ventes avec une ou deux collab’ faciles. Ainsi se croisent l’Islandaise autotunée Patty Crash, le lover Raheem DeVaughn ou encore le MC Greg Porn, un habitué de la maison.
Second album conceptuel, après Undun en 2011, qui avait vu le groupe renouer avec une certaine unanimité critique, ...And Then You Shoot Your Cousin fait cette fois se croiser les chemins de plusieurs personnages dans un récit décrit comme une satire des stéréotypes diffusés par la culture hip-hop. Et comme sur ce précédent disque, The Roots continue d’appliquer sa formule, à savoir du rap dissout dans des litres de soul, tout en la travaillant à l’os. Il était pourtant difficile de faire plus court et plus abouti que la précédente plaque, mais le challenge est relevé. Onze pistes dont trois interludes pour une durée dépassant à peine la demi-heure, et cette fois pas de titres évidents comme « Make My » ou « One Time ». A la place on trouve des morceaux déconstruits tel « Never » aux chœurs et aux cordes désarticulés. On pense parfois dans la démarche à Gorillaz époque Plastic Beach, en plus jazzy - et avec moins de rouge à lèvre pute.
L’ensemble est cohérent et travaillé, orchestral et très dense. &TYSYC est une réussite dans la façon de superposer les couches musicales (à l’image de la pochette) sans toutefois en faire des tonnes, creusant un sillon sonore proche de Grizzly Bear dans un genre différent. Bien que la galette laisse exsuder son côté hip-hop sur les sombres et (donc) bien nommés « Black Rock » et «The Dark (Trinity) », elle est à mille lieues de ce que peut attendre le fan de base du rap jeu US, et des morceaux comme « When The People Cheer » et ses touches d’avant-garde jazz ou « The Coming » qui s’emballe et se termine en orgie d'accords de piano, parleront plus aux amateurs de Sufjan Sevens que de Jay-Z et consorts. Disque pour hipsters ? Peut-être, mais beau disque.