Amazing Grace

Comment faut-il interpréter la pochette du dernier Spiritualized ? Une main tendue en signe d’invitation ? Ou bien une provocation, une main en signe de défi, prête à faire un geste obscène ? Le titre de l’album, Amazing Grace, pourrait nous faire pencher pour la première hypothèse. La musique en revanche, elle, est sans appel : c’est le second choix qui est le bon. Dès le strident "This Little Life Of Mine"en ouverture, Jason Pierce met les choses au point : ce disque n’est pas un Let It Come Down II. Finies les orchestrations luxurieuses, les chorales omniprésentes et l’apaisement quasi-religieux qui faisaient du précédent opus de Spiritualized ce chef-d’œuvre moderne de pop grandiloquente et baroque. Ce que l’on peut trouver dans ce cru 2003, ce sont onze morceaux bruts de décoffrage, produits sur le pouce par un Pierce à nouveau mordant et qui jure ses grands dieux que le retour en grâce du rock n’est en rien dans ce virage à 180°.

Beaucoup ont trouvé à redire sur ce changement de cap légèrement opportuniste. Bancal, gueulard, hétéroclite, Amazing Grace sonne comme un résumé de la carrière de l’ex-Spacemen 3 depuis le milieu des années 90. On y retrouve ses thèmes favoris ; le sexe, les drogues, la religion. On y retrouve des guitares violentes et des tempos plus calmes en alternance. Et on a parfois l’impression d’avoir déjà entendu ce disque, mais en mieux foutu. Pourtant, on y revient. Parce que le premier single, au titre évocateur de "She Kissed Me (It Felt Like A Hit)", est sans doute le morceau le plus euphorisant écrit par Jason Pierce depuis "Come Together" sur le mythique Ladies & Gentlemen We Are Floating In Space. Parce que la sacro-sainte trilogie de "Lord Let It Rain On Me" / "Hold On" / "Lay It Down Slow" n’a rien à envier aux plus beaux titres de Let It Come Down. Et surtout parce que Spiritualized reste l’une des formations les plus excitantes, malgré les changements de line-up et les engueulades qui jalonnent le parcours du groupe depuis une dizaine d’années. Alors, Jason Pierce pourrait bien décider de pousser le concept de la pochette jusqu’au bout et nous faire un bras d’honneur, on continuera à vibrer au son de sa musique. Maso ? Non, accro. C’est ça, l’état de grâce permanent.