AM
Arctic Monkeys
Lorsque le titre minimaliste du dernier album des Arctic Monkeys fut révélé, surgit l’angoisse de voir se répéter la paresse dont avait fait preuve Suck It and See. Parallèlement, les symptômes de l’exilé Turner se décryptaient de plus en plus limpidement à Los Angeles, loin des rues de Sheffield qui avaient donné naissance au génial Whatever People Say I Am, That’s What I’m Not. Éruption de banane gominée, enfilage de blue-jeans et veste noire: le rockabilly s’était emparé du génial lad. De ces deux constats, germa l’appréhension de retrouver un band à l’américaine, rapidement satisfait d’une production bâclée, qui ne serait finalement que prétexte à reprendre les tournées. Et ce, malgré l’excellent mais retenu « Do I Wanna Know ? » et le moins récent mais pêchu « R U Mine ? ». La notion d’éclectisme relança l’intérêt: « Le disque sonne comme un rythme de Dr. Dre, mais nous lui avons donné une coupe de cheveux à la Ike Turner et l’avons envoyé galoper dans le désert sur une stratocaster » livrait Alex Turner, tandis que le single « Why’d You Only Call Me When You’re High ? » venait confirmer des influences hip-hop et R&B, en diffusant par résonnance le « I’m Back » d’un Eminem sous la protection du Doc. Mais l’album s’aventure plus loin.
À la croisée des genres, la couverture prend tout son sens. Clin d’œil au VU du Velvet Underground, les initiales AM se situent au centre du spectre musical et de ses multiples influences, qu’illustre le réseau des collaborateurs : James Ford (Simian Mobile Disco), Josh Homme (QOSTA, producteur de Humbug), Pete Thomas (batteur d’Elvis Costello) et Bill Ryder-Jones (The Coral). Enfin, avec le texte de « I Wanna Be Yours », le poète John Cooper Clarke fournit le vers i’ll be at least as deep as the Pacific Ocean que la langue de Turner décompose en quelques claquements syncopés, passant avec élégance du crooner rétro au flow de la modernité.
S’étant littéralement perfectionnés, la diction et le chant d'Alex Turner lui permettent de se mouvoir sur le continuum qui oppose fluidité et saccades, avec flegme, nonchalance et légèreté. Il ne se force plus, et la tentative de remplacer le King semble avoir été reléguée afin de canaliser sa voix et d’assurer un pont avec la justesse que l‘on retrouvait sur Humbug. D’ailleurs, les ballades « No.1 Party Anthem » et « Mad Sounds » rappelle directement l’aisance de « Cornerstone » et ses lisses envolées mélancoliques. Notons que les deux titres successifs sont séparés des cinq premiers par un fondu, plutôt inhabituel, à la fin de « I Want It All ». Selon cet alternance rythmique, la progression des pistes laisse l’album s‘écouter d’une traite, sans lassitude. Ce faisant, le roulement de « Fireside » prépare à la suite, plus dansante. Composent celle-ci « Snap Out Of It » et « Knee Socks », tous deux plus pops et conservant cependant la bigarrure typique d’AM.
De manière générale, AM se veut très épuré et sensuel. Les instruments martèlent les vides qu’il faut nécessairement combler, évitant la profusion, avec distance et retenue. Inévitablement lié à cette dernière, s’exerce une sorte de raffinement diffus qui transparait dans les envolées, lesquelles s’annoncent par superpositions successives de fines couches de sons, à chaque fois surajoutées par contraste, bien qu’il puisse y avoir de subtils éclats (« One For The Road »). On regrettera cependant que « R U Mine ? » soit le seul titre envoyant plus de pâté que le reste, même si « Arabella » dénote un rock plus lourd et plutôt massif. Si les Arctic Monkeys n’ont plus la fureur de leurs débuts, ils livrent cependant un album d’une maitrise et d’une maturité certaines, dont l’aboutissement et la complexité dissimulée rassurent quant à la persistance de leur talent.