Alph Lauren 2

Alpha Wann

Don Dada Records – 2016
par Titus, le 9 février 2016
6

Alpha Wann est un type cool et cette coolitude, il la cultive. Que ce soit au sein du collectif 1995 ou en solo, la nonchalance transpire dans des textes d'une impressionnante maîtrise technique. Il est en cela très en phase avec le style des rappeurs de L'Entourage, collectif qui est loin de se résumer à son pote Nekfeu.

Forcément, la comparaison avec ce dernier est évidente, tant il a marqué l'année 2015 avec son album Feu, qu'on avait bien aimé malgré quelques grosses faiblesses. Même si Alpha ne prétend pas à un tel succès, il apprécie également les textes très travaillés sur le plan technique. Son univers peut par contre sembler moins riche par rapport à un Nekfeu dont le travail est beaucoup plus introspectif et diversifié, quitte à se perdre un peu. Alpha Wann, lui, ne cherche pas à se cerner ni à nous dévoiler sa vie : il rappe pour le plaisir et ce choix artistique, s'il n'est pas contestable, se ressent à l'écoute.

La choix du format EP nous plonge immédiatement dans un univers familier qui respire la décontraction. Les textes sont vifs, précis, posés avec une grande fluidité. Difficile de bouder son plaisir à l'écoute de rimes multisyllabiques souvent jubilatoires ("ils veulent faire comme Ponce Pilate/ ces enfoirés d'conspirateurs/ va leur dire qu'personne n'arrête mes onze pirates" sur "Protocole"). C'est d'ailleurs souvent ces rimes, marques de fabrique du style très technique en vogue dans une partie du rap français depuis la percée de 1995, qui sont pointées du doigt comme "scolaires".

Pourtant, jamais son rap n'apparaît comme forcé : son apparente nonchalance n'a rien d'inconscient. Elle fait partie intégrante de son univers et de son personnage. Placements de rimes inattendus et punchlines déroutantes ("chuis le tirailleur, Flingue, mi-homme mitraillette") sont désormais au service de l'élaboration d'un rap qu'on sent dirigé vers une musique qui se veut plus qu'un simple enchaînement d'exercices de style.

Alph Lauren 2 est d'une grande cohérence, tant sur le plan textuel que musical. Dans les instrumentaux, on ressent à la fois l'influence évidente des classiques des années 90, mais également l'influence du rap actuel. Des percussions trap n'hésitent pas à s'inviter, permettant de varier quelque peu les ambiances. "Barcelone" en est une bonne illustration : un sample doux et discret, sur lequel s'ajoutent ces percussions si caractéristiques.

On peut cependant regretter une construction des morceaux qui n'innove que trop peu, excepté sur le morceau éponyme, qui tente un changement instrumental à la Kendrick Lamar (malheureusement peu convaincant), ou encore sur le rafraîchissant feat avec Nekfeu, "A deux pas". Alpha Wann ne se détache pas de la classique alternance couplets-refrains, ces derniers n'étant que rarement marquants, ce qui nuit au potentiel de réécoute.

De manière générale, on reproche à cet EP ce que l'on avait reproché à Nekfeu : une absence quasi totale de prise de risques. Ça rappe très bien, certains morceaux se détachent nettement ("Sous Marin" et les deux featurings avec Nekfeu et S-Pri Noir) mais l'ensemble ne dépasse pas le stade du sympathique. 

Alph Lauren 2 est donc un disque efficace, court, qui remplit son office sans jamais surprendre. L'univers d'Alpha ne semble pas assez riche pour le pousser à dépasser le stade d'artiste agréable : trop similaire au premier opus, sa cohérence artistique finit pas devenir sa faiblesse. Tout comme Feu, il constitue un divertissement de qualité, jouissif par moments, mais qui a du mal à tenir sur la longueur d'un album. Peut-être faudra-t-il y ajouter une dose d'ambition pour vraiment nous convaincre? 

Le goût des autres :