Alles Complot
Berry
Sur le fond comme la forme, l’essor de la clique Griselda de Westside Gunn, Benny The Butcher et Conway The Machine est étroitement lié la shock value qu’ils ont remis au goût du jour dans un rap où certaines de ses plus grandes stars, malgré un CV de crapule, ont su déverser des hectolitres d’eau dans leur vin. Cette shock value, on la retrouve dans des visuels, lugubres à souhait, et étroitement liés à ce gangstérisme qui façonne les personnalités et cabosse les parcours de vie. Par ailleurs, à travers des partenariats avec des labels qui ont fait de l’exclusivité leur fond de commerce (Daupe!, De Rap Winkel Records ou Tuff Kong Records), Griselda a su se rendre indispensable. C’est cette esthétique et ce business model qui fait rêver le Bruxellois Berry.
En intitulant son nouvel album Alles Complot (que l’on pourrait traduire par « complot partout ») et en l’illustrant par l’un des épisodes les plus nébuleux de l’histoire politique belge (l’assassinat d’André Cools en 1991), il sort la carte Griselda de la manche de son hoodie. Sauf que lui n’a pas passé sa jeunesse à vendre de la dope dans les rues de Buffalo, mais a vécu une adolescence tout ce qu’il y a de plus normale dans les rues de Schaerbeek, probablement à se rêver hustler. Quant à ses textes, bien qu’ils citent quelques termes chers à la complosphère, ils s’attèlent la plupart du temps à décrire le quotidien d’un rappeur qui aimerait beaucoup laisser tomber son taf pour vivre de son art, et qui passe une part non négligeable de son temps à fumer de la weed. En réalité, il faut féliciter Berry pour son opportunisme, et pour l’intelligence avec laquelle il mène sa carrière.
Au-delà d’un business plan bien pensé, chaque nouveau projet est l’occasion pour le Bruxellois de s’entourer d’un nouveau producteur, qui s’adapte à son flow lent, rendant le parallèle avec Rick Ross évident. Après Phasm sur Top Niveau ou Royaz sur (l'impeccable) Exact, c’est au tour du binôme Eskondo / Le Seize de se mettre au service de Berry. Et si ces deux noms vous disent vaguement quelque chose, c’est parce qu’ils n’ont jamais été bien loin de Caballero et JeanJass. Aussi, on ne s’étonne qu’à moitié de croiser ce dernier sur « In De Studio », nouvelle preuve qu’après une paire d’années difficiles, ces deux-là sont de retour à leur meilleur niveau. Ailleurs sur le disque, on croise également Jazz Brak de Stikstof, dont Berry est très proche, et qui n’en finit plus de monter en puissance pour enfin tutoyer les sommets dans lesquels s’épanouit déjà son comparse Zwangere Guy.
Mais il ne faudrait pas réduire la valeur de Alles Complot aux contributions de ses invités ou à la faculté d’adaptation de ses producteurs, qui ont bien compris que seul un boom bap aux cadences ralenties convenait à Berry. Bien qu’il donne souvent l’impression de travailler en sous-régime ou de ne jamais vouloir sortir de sa zone de confort, et c'est vraiment le gros défaut du projet, il sait très bien ce qu’il fait et la place unique qu’il occupe dans l’ecosystème du rap bruxellois underground – à mi-chemin entre les bails sombres de Conway The Machine et le stoner rap d’un Curren$y. Et même si Berry devra à terme se réinventer pour continuer à nous passionner, le plaisir que nous procurent ses postures de pothead qui a beaucoup écouté "Le crime paie" ou "Shook Ones, part II" continuent de nous plaire en 2022. La terre est peut-être plate, mais le rap de Berry ne l’est assurément pas.