All Quiet On The Eastern Esplanade
The Libertines
Dans un récent entretien chez Konbini, Pete Doherty parle de ses inspirations, de son rapport à la célébrité, et en profite pour rappeler la distance qui séparent The Libertines d’artistes comme Joy Division ou Bob Dylan. Mais de conclure : peut-être sera-t-elle comblée avec ce nouvel album ? Alors, pour vous éviter des crises d’angoisse à répétition en attendant la réponse à cette question, non, All Quiet On The Eastern Esplanade, potentiel dernier album de la longue carrière de Doherty avec Carl Barât, John Hassall et Gary Powell, ne propulse pas le groupe dans une nouvelle dimension. Mais ce n’est pas pour autant un disque qui ne tente rien, ou qui ne serait que le témoin de l'écart qui sépare désormais les Libertines de leurs glorieux débuts.
En 2015, le retour du groupe pour Anthems For Doomed Youth était accompagné d’une sortie assez mal venue de Pete Doherty, précisant que ce comeback tant attendu était surtout une question de fric. Peut-être était-ce une bonne idée d’annoncer ce qu’on aurait probablement deviné en écoutant un disque qui réussissait surtout à donner envie de réécouter les précédents, en cherchant à répéter des formules dépassées et potentiellement loin de ce qui animait alors Doherty et Barât.
Sur All Quiet On The Eastern Esplanade, le groupe prend son temps, ralentit le rythme, à l’image de ce que Barât produit avec The Jackals, et de ce que Doherty fait depuis son premier album solo en 2009, et même auparavant avec les Babyshambles. Exit le punk donc, l’accueil est fait à un rock plus traditionnel, voire à un « rock-à-papa » auquel on n'imaginait pas avoir droit dès 2024. C’est le cas du single « Merry Old England », traditionnel anti-hymne du groupe à la dépression britannique. On finit par se dire que pour la première fois depuis Up The Bracket, The Libertines ne crée plus la dissonance entre l’énergie de la jeunesse et la nostalgie qui les anime. Les rêves désespérés de jeunes poètes ont mué en vieillesse assez banale, reprenant musicalement ce qui était déjà l’intention de « Good Old Days » en 2002. Le jeune garçon qui court après le temps dans « Run run run » ou l’enterrement du clip de « Shiver » (« The last king of every dying empire / Just let it die / Sit down, enjoy the ride ») sont autant d’illustrations d’une mélancolie qui peine à se renouveler, et tire doucement de la joie de l’effacement des choses vers une simple tristesse.
Et si les ballades comme la reprise de Tchaikovski sur « Night Of The Hunter » ou le très beau « Songs They Never Play On The Radio » donnent un nouveau souffle au groupe, on sent qu’il n’est plus au niveau de sa légende. Il suffit de réaliser que sur tous les titres produits pour construire cet album, ils ont choisi de conserver « I Have A Friend », qui reprend accord pour accord « Last Post On The Bugle », et qui, lorsqu’il faut tout de même s’en écarter pour le refrain, se complaît dans une harmonie bien moins cohérente que ce joli passage en mineur de 2004.
Nul doute que les fans hardcores des Libertines trouveront de quoi satisfaire une attente de presque dix ans, mais il serait peut-être temps, comme l’ont fait d’autres groupes, de lâcher l’affaire et de se concentrer sur d’autres projets. En vieillissant, la voix de Carl Barât est devenue particulièrement belle, et Pete Doherty a d’autres identités musicales à mener, entre la chanson, la folk et le reggae. Malheureusement, dépendant des ventes et des streams du disque, on parierait plutôt sur un énième comeback dans six ou sept ans, lorsque le besoin d’argent se fera sentir, pour un album cette fois véritablement oubliable.