All Mirrors
Angel Olsen
Il faut parfois partir du principe que l'habit fait le moine pour comprendre toute la quintessence d'une œuvre. Sur le portrait en clair-obscur qui sert d'artwork à All Mirors, Angel Olsen, vêtue d’un grand manteau de fourrure, nous regarde droit dans les yeux. Son regard est froid, distant, comme s’il avait eu connaissance de situations compliquées desquelles il souhaiterait maintenant se tenir éloigné. Un regard foudroyant, comme si l’expérience des situations vécues lui avait fait gagner en confiance et assurance. Un regard qui nous fait baisser les yeux. Mais lorsqu’on parvient enfin à échapper à ce magnétisme ensorcelant pour contempler attentivement le reste de son visage, on constate que cette sévérité de façade n’a pas réussi à masquer un début de sourire victorieux et légèrement narquois.
Cette assurance et cette puissance, qui avaient fait d’Angel Olsen une icône anti-Trump en 2016, pouvaient être davantage exploitées que sur My Woman, album qui se distinguait déjà par son caractère authentique et introspectif. C’est peut-être pour cela qu'à l'origine, All Mirrors fut enregistré sans instruments, comme si l'Américaine souhaitait avant tout retranscrire le plus fidèlement possible le mal-être qui la rongeait. Le hasard faisant parfois bien les choses, elle en enregistra une deuxième version autrement plus épique, pleine de cordes et de synthé. Le morceau "Lark", qui introduit l’album, est certainement le meilleur exemple de cette nouvelle ambition. Alors que la moitié du titre évoque les regrets d’une relation passée, des éclairs de lucidité embrasent le morceau (« They say you love / Every single part / What about my dreams? / What about the heart? »).
Tandis que nous progressons dans cette Odyssée amoureuse sans Ithaque, certains morceaux se font plus légers et rappellent l’humour à froid si cher à Angel Olsen ("It's never easy to admit / That maybe you just want / Just to feel something again /You just wanted to forget /That your heart was full of shit » sur What It Is). À l’inverse, l'Américaine peut se montrer cruelle et acerbe, comme lorsque, rongée par la passion, elle doute de sa propre identité (« I'm beginning to wonder / If anything's real / Guess we're just at the mercy / Of the way that we feel » sur Spring) ou tente bien malgré elle de se délivrer de sa peur de la mort (« I've been watchin' all of my past repeatin' / There's no endin', and when I stop pretendin' / See you standin', a million moments landin' / On your smile, buried alive, I could have / Died to stay there, never have to leave there » sur All Mirrors). Le triptyque "Tonight"/"Summer"/"Endgame" qui suit cette confusion émotionnelle est tout aussi intense, avec une acceptation de son passé et un regard plus radieux et tourné vers son avenir. Comme sur le brumeux "Tonight" où les trémolos dans sa voix nous donnent l’envie de la consoler, nous entrons sans nous en rendre compte en parfaite empathie avec l’artiste de Saint-Louis.
"Chance", qui clôt l’album, est l’occasion de célébrer sa victoire sur ses relations fanées, et la sagesse accumulée lui permet d'atomiser la chape de plomb qui reposait sur le disque (« Making my own plans / I'm not looking for the answer / Or anything that lasts / I just want to see some beauty »). All Mirrors est peut-être la plus grande prise de risque de la carrière d’Angel Olsen. Cristallisant les peines de cœur qui ont suivi My Woman, ce nouvel album, cathartique et introspectif, dévoile une artiste plus que jamais résiliente. En sortant de sa zone de confort, Angel Olsen réussit un tour de force audacieux : produire une œuvre baroque, épique et suffisamment authentique pour que même les plus réfractaires au folk de ses anciennes productions puissent trouver leur compte dans ce magnifique condensé d'émotions extrêmement fortes.