All Dressed Up and Smelling Of Strangers
Micah P. Hinson
Micah P. Hinson est un mec extrêmement talentueux, et celles et ceux qui ont déjà jeté une oreille attentive à ses deux premiers albums ne me contrediront certainement pas. Mais le jeune Américain est également en proie à une créativité en dents de scie, comme en témoigne une carrière qui stagne un peu depuis quelques années. Aussi, histoire de se rappeler au bon souvenir de ceux qui l'avaient peut-être condamné à une vie de premières parties et de salles minables, d'élargir quelque peu une ‘fan base’ qui en a bien besoin et, surtout, de se faire plaisir, le natif de Memphis a entrepris d’enregistrer un album composé exclusivement de reprises. Et visiblement conscient du désamour dont il est à la fois la victime et l'instigateur, notre homme a opté pour une sélection dans laquelle le consommateur féroce de musique indépendante se retrouvera autant que le néophyte connaissant à peine ses classiques.
Divisé en deux « volumes », un premier purement acoustique et un second résolument électrique, All Dressed Up And Smelling Of Strangers est donc une occasion rêvée pour Micah P. Hinson de joindre l’utile à l’agréable en s’attaquant à quelques-uns de ses morceaux favoris. Et dès les premières notes de la reprise du « Slow and Steady » des oubliés Pedro The Lion, on réalise que le jeune Américain s’impose, avec sa voix grave, comme la réincarnation de l’immense Johnny Cash . Pas celui qui écumait les prisons à la fin des années 60, mais bien l’homme qui s’était mis à nu sur ses American Recordings poignants et avec qui Micah P. Hinson partage quelques blessures. Livrant des versions personnelles et toujours réussies de pépites de l’indie américain ou de grands classiques de la musique contemporaine, c’est un Micah P. Hinson à fleur de peau qui nous rappelle les plus beaux moments de Micah P. Hinson and the Gospel of Progress, son meilleur album à ce jour sur lequel se mêlaient tristesse et beauté. Cette affirmation prend tout son sens à l’écoute des réinterprétations magnifique du « Suzanne » de Leonard Cohen, ou plus encore sur sa version déchirée de « My Way » de Frank Sinatra où la classe légendaire de ce dernier laisse place à la version tout en fêlures de Micah P. Hinson.
Sur la seconde partie du disque, c’est clairement aux années 60 que Micah P. Hinson rend hommage, avec des titres de Buddy Holly, The Lovin Spoonful ou The Beatles au prgramme. Et là aussi, notre homme ne se loupe pas, insufflant à l'ensemble de ces compositions une dose supplémentaire de détresse et de pathos qui rend l’ensemble inévitablement poignant. Il n'y a qu'à écouter Hinson noyer sa voix grave dans un déluge de guitare sur le « In The Pines » de Leadbelly, un morceau popularisé par Nirvana sur son Unplugged sous le titre « Where Did You Sleep Last Night », transcender la montée en puissance du « Runnin’ Scared » de Roy Orbison ou encanailler le « Stop The World » de Patsy Cline.
Pour sa première sortie depuis le très décevant Micah P. Hinson & The Red Empire Orchestra, Micah P. Hinson ne rate pas son coup. On pourrait même dire qu’il en frappe un grand en faisant à nouveau montre de cette honnêteté brutale et de cette sensibilité presque surnaturelle, plaies béantes témoins d’une vie tumultueuse notamment faite de solitude, de vie dans la rue et de dépendance à la drogue. Micah est de retour, qu’on se le dise!