ALASKA
Green Montana
Les ratpis certifiés et les internet nerds ont entendu parler de Green Montana très tôt. Repéré par Isha lorsqu'il collaborait encore avec le duo CYPH3R, le MC originaire de Verviers a sorti deux EPs en 2018 avant de participer à la première édition de La Relève, organisée par la plateforme Deezer, sorte d'équivalent francophone au XXL Freshmen Class aux États-Unis. C'est lorsque Booba demande au journaliste Mehdi Maïzi quelles têtes méritent d'être écoutées par le Duc que l'histoire s'emballe : signature en 2019 sur 92i et sortie d'album studio un an plus tard, après avoir suivi son capitaine durant les derniers festivals musicaux de l'histoire, l'été dernier.
Ce qui semblait évident de prime abord, c'est que l'équation Booba + Green Montana semblait, dès le départ, musicalement mal engagée. Même si B2O se "zumbifie" et donc, chante de plus en plus, il est assez clair que l'univers d'un Green Montana, froid, mélodieux et paraissant un brin élitiste en matière d'instrumental ou de visuels, allait difficilement se marier avec le côté populaire et rentre-dedans du natif de Boulogne-Billancourt. Une autre de ses signatures, SDM, colle bien mieux à l'image 92i telle qu'on l'imagine... Pour le dire autrement : Booba, c'est Robert Rodriguez et Green Montana, c'est Louis Garrel. On a l'impression que Kopp cherchait son "mec incompris" de substitution après le départ de Damso, et donc, que ce premier essai qu'est ALASKA finirait fatalement par ressembler à Desperados sans les armes à feu, sans le soleil du Mexique, sans Salma Hayek et avec des dialogues chiants. Verdict ? Ce n'est pas exactement ça, mais un peu quand même !
Ce qui est évident, c'est que Green Montana a joui d'une liberté créative importante dans la conception de l'album. À l'instar de ses deux précédents EP, la froideur de son univers se fait ressentir tout au long de l'expérience ALASKA, longue de 16 titres, mais qui ne dure en réalité même pas 40 minutes. En cause : des morceaux courts, moins de 3 minutes (parfois même moins de 2), tout comme les tracks de certains jeunes rappeurs américains (Lil Tecca, Polo G) ou français (RK, Larry) craignant certainement que l'on "skippe" leurs morceaux, voire qu'on ne les écoute pas du tout s'ils rajoutaient un mauvais couplet. Dans le cas de Green Montana néanmoins, on peut émettre d'autres hypothèses : premièrement, étant loin d'être un parolier hors pair (personne ne l'est dans les rappeurs cités ci-dessus, certes), Green souhaite aller à l'essentiel plutôt que de nous assommer de phrases de remplissages malvenues, et ainsi mettre l'accent sur la beauté de ses mélodies et non sur ses recherches textuelles lacunaires. Deuxièmement, la froideur de l'album se marie particulièrement bien à la pudeur évidente du rappeur. Green utilise ses mots, évoque souvent les clichés les plus impersonnels de l'histoire du rap - la drogue, le sexe, l'argent - mais dans un style singulier. Et cela semble être largement assez. Ne confesse pas un "meurtre" sur son premier album studio qui veut.
La liberté artistique de Green Montana s'arrête finalement là où les besoins en tubes de Kopp commencent. Bien que les percussions afro-caribéennes s'invitent parfois de manière perturbante sur l'album, Dany Synthé, producteur génial, relève cet étrange challenge qui consiste à lier Alaska et Caraïbes (sur "RISQUES", notamment). On regrette par ailleurs la pique putaclique de Booba sur le titre "TOUT GÂCHER" qui, on s'en doute, n'avait que pour objectif de faire couler un peu d'encre du côté des médias toujours endeuillés par l'absence de l'octogone. L'envie d'être radio-friendly transparaît sur plusieurs morceaux, mais il est évident que ce n'est pas demain la veille que Green fera de l'ombre à Naza. Capable de bangers à la "SALE TCHOIN", OVNI assumé de l'album, on se dit que la formule trouvée par Green est plutôt séduisante... Mais aussi que plus d'audace permettrait à l'artiste de passer un cap musicalement, et de s'affranchir plus encore de ce que le 92i attend de lui.