After Hours
The Weeknd
On la connaît l’histoire de ce vieux charo d’Abel Tesfaye, aka The Weeknd : le mec a geint avec beaucoup de talent son envie de réussite et d’entrejambe féminin, jusqu’à ce que la première arrive en brassant dans son sillage une flopée du second. Problème. En multipliant les succès, le Canadien est sorti de son honorable ornière, qu’il avait tracée avec sa trilogie de mixtapes, pour progressivement rentrer dans une courbe très/trop mainstream qui va cependant lui assurer la prospérité. Des chèques et de la schneck à en perdre la tête, et ses fans avec.
Lorsqu’il annonce son dernier projet, After Hours, The Weeknd se pare alors d’un tout nouveau look retro – très travaillé sur les codes du cinéma gangster des années 80 – qui détone avec ses attitudes précédentes, bien calibrées sur la ligne mâle-à-minettes. Ferait-il machine arrière avec cette intention de remodeler son image, histoire de revenir dans un plan carrière plus fouillé grâce à l’abandon des raccourcis que lui offrait la musique pour auto-tamponneuses ? On en doute, avant de miser plutôt sur un énième plan com’ dont le milieu regorge : nouveau disque, nouvelles fringues, nouvel univers ; facile, repérable, bankable.
Heureusement, après une première écoute du disque, nous avons notre réponse : oui, Abel Tesfaye nous prend bien pour sa pute. S’il répète tout au long du disque les mêmes thèmes qui lui sont devenus chers – problèmes de cœur, de célébrité, de fidélité, de drogue – il introduit cette fois la notion de « fuite » : Abel désirerait ainsi tourner le dos à tous ses travers. Dit-il. Pour ce faire, il décide donc tout naturellement de produire une série de morceaux d’electro-pop uptempo, teintée de dance façon eighties, sous la direction du producteur Max Martin qui imprime aux titres son roulement décérébré de tubes efficaces. Sur « Blinding Lights », « In Your Eyes » et « Save Your Tears », seule une forme de sobriété et d’épuration permet de ne pas croire que ces derniers appartiennent au répertoire de Katy Perry ou de Maroon 5.
Pire, « Too Late » essaye de croiser les rythmes 2-step des Backstreet Boys avec les élans digitaux du « Children » de Robert Miles. Une légère inspiration drum va déteindre de ce morceau sur le suivant, « Hardest to Love », pour venir transformer des mélodies proches du classique « Can’t Help Falling in Love » en générique de Manga. Et ce n’est pas tout. La balade rock « Scared to Live », aussi écœurante qu’un skette braguette tout droit sorti d’un sombre garage qui pue la boum des années 70, se plait à citer une punchline de Sir Elton John, I hope you don’t mind. Ben si, justement, ça nous gêne. On ne peut certes pas retirer à l’artiste une volonté sincère d’approcher des territoires pop étrangers à sa musique, mais cette expérimentation ne rachète pas ses écarts à ses premières amours : il s’agit une nouvelle fois d’un album de soupe-à-fric qu’il faudra se contenter de classer dans un autre bac. Quelle fuite alors Abel ?
La déception est d’autant plus forte que l’album propose pourtant sa poignée de pépites. Chaque fois que Metro Boomin ou IIIangelo, collaborateurs de longue date, apposent leur patte, The Weeknd retrouve de sa superbe : « Heartless », « Faith », « After Hours » et « Until I Bleed Out » distillent des cadences arrogantes et brutales, comme les bangers d’antan. L’éther qu’il parviennent à souffler se nappe de synthés angoissant sous quelques envolées digitales amères, parfois boursouflées de distorsions – même si la fin mystique de « Faith » tend drôlement à se confondre avec les sanglots de Damien Saez, époque God Blesse. Notons également les apparitions salutaires de Oneohtrix Point Never et de Kevin Parker, bien que finalement peu reluisantes, car peu perceptibles sur leurs titres assez timides parmi le vent que brasse le disque.
L’ouverture de ce dernier portait pourtant une précaution oratoire importante. Avec « Alone Again », notre vieil amant entamait After Hours sur une confession prophétique très inspirée, loin de ses prétentions foraines – du moment que l’on ne rechigne pas à avaler du yoghourt numérique aux grumeaux de système binaire – une confession qui livrait donc ce message : how much to light up my star again, and rewire all my thoughts ? Oh, baby, won't you remind me what I am, and break, break my little cold heart ? Abel, excuse-nous dès lors de te le rappeler : tu n’as pas changé. On a plutôt l’impression que tu te déguises à présent, à l’instar du cinéma auquel tu fais ici référence. Sache-le, avec ce disque, il ne te reste pour seul mérite que le talent de nous avoir bien baisé.