ADC
Freeze Corleone
Du rap, des mangas, du sport, de la sombre géopolitique, des complots étranges, des fringues Moncler et des Lamborghini. Vous devinerez par ce listing que Freeze Corleone n'est pas devenu quelqu'un d'autre avec la sortie de son deuxième album, ADC. Nouvel album rime avec nouvelle référence à la prélogie de Star Wars. Après l'impressionnant LMF (pour La Menace Fantôme) dans lequel Freeze avait mis en avant la racine de son rap en invitant plusieurs de ses inspirations (Despo Rutti, Alpha 5.20 ou Le Roi Heenok), ADC (pour L'Attaque des Clones) vient certifier l'unicité de l'un des rappeurs les plus importants de sa génération.
Zéro guest, zéro concession et un style désormais bien connu de l'auditeur de rap qui, ces trois dernières années, a sûrement entendu Freeze rapper avec son rappeur préféré. Ce qui impressionne le plus est bien sa rigueur dans le travail et dans sa ligne directrice. Depuis ses premiers projets, en groupe ou en solo, aucune rime n'est venue en contredire une autre. Mieux, le monstre de travail et de perfectionnisme qu'est Freeze Corleone n'a eu cesse d'améliorer ses placements et ses flows à chaque sortie.
On peut considérer que la forme finale du rappeur franco-sénégalais s'est amorcée avec Projet Blue Beam et sa collaboration avec le producteur Flem. Depuis que ce dernier a su façonner une bande-son glaçante pour le rappeur le plus fasciné par les méchants de la pop culture et de l'Histoire (sans doute beaucoup trop d'ailleurs), Chen Laden est devenu une version de lui-même bien plus assertive et à l'aise à l'idée de tenter de nouvelles choses.
Toujours plus inspiré que la veille, Freeze Corleone fait le même bond entre LMF et ADC que celui que l'on avait noté entre Projet Blue Beam et LMF. Plus fort techniquement, avec une aura plus importante à cause des polémiques ayant fait de lui un personnage public, le rappeur du 93 semble être celui qu'il a toujours rêvé d'être : haï par les médias qu'il accuse de complotisme, haï par la classe politique qu'il accuse de couvrir des crimes pédophiles, le MC se voit finalement renforcé par les ennemis qu'il a lui-même choisis. Tout ce bruit depuis LMF n'a fait que renforcer sa position anti-occidentale, qu'il maintient sur ce nouvel opus. Plus que jamais les demandes de PDM (pour peine de mort) pleuvent à l'encontre de pédophiles, agresseurs sexuels et dégénérés prenants le volant après avoir aspiré la moitié de Medellín par le nez. Les accusations de racisme contre Adidas ou contre « les flics du nord » et « les flics du sud » pourraient nous inciter à faire nos recherches à plusieurs onglets ouverts, celles contre Jean Messiha un peu moins, car ce n'est pas franchement un scoop.
S'il est toujours intéressant de noter à quel point un texte de Freeze Corleone est mille fois plus intéressant une fois décodé (alors qu'il est déjà fascinant par sa forme), que la réflexion de Freeze, bien qu'elle ne soit pas la plus fine, a le mérite d'exister, il faut toutefois noter qu'une lassitude peut logiquement se faire ressentir chez ses auditeurs les plus assidus. L'association Flem-Freeze Corleone, ce n'est pas une pochette surprise, et même si les nuances sont importantes, une musique peut facilement nous faire penser à une autre présente dans un ancien album ou dans celui-ci même. L'idée d'ADC n'est absolument pas de réinventer la musique du leader du 667, mais au contraire de la faire évoluer touche par touche.
On notera toutefois que sur « L'homme méthode » co-produit par Ocho, Issa Lorenzo Diakhaté fera parler son talent indéniable (« s/o Roselyne ») sur une instrumentale boom-bap au bon souvenir de Method Man, chose assez rare pour être signalée. Fait encore plus rare, Freeze nous montre une ouverture aussi inattendue que réussie avec « Jour de plus », titre 2-step qu'on pourrait même être tenté d'inclure dans nos playlists Feel good music entre « I am blessed » de Mr. Vegas et « Parce qu'on vient de loin » de Corneille, sans que cela paraisse trop bizarre - mais un peu quand même.
Le troisième disque de la trilogie suivra-t-il ce changement de couleur dans la palette de Freeze ? Assurément non. Néanmoins, il serait intéressant d'étayer cette versatilité sur un disque qui s'appellera certainement RDS (pour la Revanche des Siths) et qu'on a envie d'imaginer comme le film dont il s'inspirera : plus spectaculaire, plus sombre encore, mais pourquoi pas aussi plus introspectif que les précédents. Il est évident que la musique très pudique de Freeze Corleone l'interdit de se mettre à nu comme certains de ses confrères, mais on espère néanmoins que la maturité qu'il dit sentir dans cet album (« J'prends de l'age, bientôt faudra m'vouvoyer ») le pousse, au détour d'un titre – un peu comme l'avait fait Kaaris avec « Réussite » – a partiellement désemplir le mystère entourant sa personne.