A Written Testimony
Jay Electronica
Certaines légendes disent de lui qu'il a le potentiel pour être le plus grand rappeur américain de l'histoire. Que jamais personne n'a mieux rimé que lui. Certains forceurs vont même jusqu'à dire que c'est lui, et non Kendrick Lamar, qui est l'auteur du meilleur couplet sur le morceau "Control". Les bruits de couloirs, les assertions des puristes de l'ère Youtube ou celles de P. Diddy vont enfin pouvoir être mis à l'épreuve : on pensait que ce jour n'arriverait jamais, mais Jay Electronica a finalement sorti son premier album, 10 ans après sa signature sur Roc Nation.
Implicitement, A Written Testimony se devait de justifier la hype entourant l'un des MCs les plus mystérieux de ces dix dernières années. À une époque où le format album n'a plus autant d'importance qu'en 2010, la tâche paraissait colossale. Elle l'est d'autant plus que cet album solo n'en est absolument pas un, mais bien un binôme avec le VRAI plus grand rappeur américain de l'histoire, et accessoirement, le CEO de Roc Nation. Le mois dernier, Jay Electronica avait prévenu par tweet interposé que Jay-Z jouerait un grand rôle dans la conception de l'album. On ne se doutait néanmoins pas que le patron rechausserait les crampons pour appuyer son poulain sur quasiment chaque morceaux. Il est évidemment hors de question de s'en plaindre en tant qu'auditeur, mais on est en droit de se demander si cette décision était la plus judicieuse du point de vue de Jay Elec'. Marcher dans l'ombre d'un géant dès son "debut" album : bénédiction ou fléau ?
L'intro expose clairement les enjeux de A Written Testimony : l'album se centrera sur la spiritualité du duo, et son appartenance au mouvement religieux appelé la Five-Percent Nation. Cette prise de position prend cependant du temps à se matérialiser concrètement, et la première partie du disque manque cruellement de profondeur, peine à être substantielle, nous exhibant plus facilement l'excellente alchimie entre Jay Electronica et Jay-Z et un "pen game" incontestablement remarquable, qu'une réelle assertion de foi. Un titre comme "Shiny Suit Theory", le seul à ne pas avoir été conçu entre fin décembre 2019 et février 2020, détonne logiquement, de par sa production simple et son groove entraînant. Mais il n'est pas le seul à se révéler problématique dans l'unité sonore de A Written Testimony. Les ambiances lo-fi peuvent parfois nous rappeler le 4:44 de 2017, solennelles et pures mais n'ont rien à voir avec les percussions abrasives de Swizz Beatz sur "The Blinding". Il est assez déconcertant qu'un projet si court, aux enjeux si clairement exprimés enchaîne tant de loopings instrumentaux.
Globalement, la cohérence de l'album est tenue grâce aux deux MCs. À l'inverse d'un Ali dans le somptueux album Que la paix soit sur vous, le duo ne va jamais vraiment au bout des choses lorsque le sujet de la religion est traité, mais l'alchimie reste saisissante de bout en bout. Jay-Z sait se faire petit pour dérouler le tapis rouge à Jay Electronica. C'est notamment ce qui se passe sur la poignante dernière piste de l'album "A.P.I.D.T.A" (All praise is due to Allah), dans laquelle un simple refrain de Hov' permet à Jay Electronica de réciter un couplet brillant, rendant hommage à sa mère disparue. Et quand Jay-Z n'est pas occupé à jouer le faire valoir, tous les coups de projecteurs sont sur lui, la faute à ces fameux sous-entendus dont lui seul à le secret. Beaucoup reprochaient, à juste titre, à Shawn Carter d'être devenu fainéant avec le temps. Ces 40 jours passés avec Jay Electronica lui ont clairement donné le coup de boost dont il aurait eu besoin ces dix dernières années. C'est sans doute ce que l'on retiendra de cet album dans les années à venir : l'altruisme des deux Jays au service d'un album presque trivial.