A Long Goodbye

Busman's Holiday

Joyful Noise Recording – 2014
par David C., le 5 mai 2014
9

A Long Goodbye pose un problème : comment un album aussi foutraque et rempli de réminiscences proustiennes (conscientes ou non) peut-il être un bon album ? Parce que A Long Goodbye est quand même un sacré putain d’album. Car à la première écoute, il pourrait plutôt s’intituler Je n’aime pas la folk, mais ça, j’aime bien, tant il semble être un patchwork ayant pour fil rouge les voix et les instruments des deux impétrants, Lewis (guitare) et Addison Rogers (percus), frères de leur état. Non seulement la variété s’exprime dans la composition (les timbres instrumentaux, les arrangements, les harmonies, les structures qui sortent du sempiternel couplet/refrain, les nuances) mais aussi dans la production (prises de sons, mixage, spatialisation), ce qui donne parfois l’impression d’écouter une compilation alors qu’il s’agit d’une première sortie physique.

Exit Damien Rice qui serine sa folk mielleuse tout droit sortie de la B.O. d’une série pour ado biactol, bye bye Andrew Bird et son folk-rock indie un peu simplet. Même Joanna Newsom peut ranger sa harpe, car les frères Rogers font montre d’un savant éclectisme dans la présentation de leurs chansons. Car à la première écoute, on entend passer tant de gens et de styles qu’on se demande si ces deux-là en ont un à eux, de style. L’éternelle question de l’originalité en musique : quand Bach pompe Vivaldi dans ses concertos, personnes ne bronche ; quand Brel pompe Ravel, personne ne bronche itou ; quand toute la french touch pompe allègrement le groove de chez Salsoul, personne ne bronche trop non plus. Mais bordel, comment ne pas entendre passer Haydn dans l’écriture du quatuor, DM Stith ou Sufjan Stevens dans la précision des arrangements. Et surtout l’ombre de Paul McCartney plane constamment, non seulement dans la voix des deux frères (celle de Lewis est la plus troublante dans sa ressemblance), mais aussi dans la conduite des harmonies, des lignes mélodiques, des techniques de jeu de la guitare. L’album fourmille ainsi de réminiscences plus ou moins conscientes qui résonnent dans la mémoire comme une madeleine, sans parfois qu’on réussisse à retrouver d’où vient cette foutue saveur qui trainait en nous depuis si longtemps.

On passera rapidement sur la mythologie de la production qui s’apparente plus aux arguments des affiches de ciné : l’album a été enregistré à Montréal dans LE studio des Arcade Fire par LEUR producteur Mark Lawson. Pourquoi  l’argument semble-t-il plus commercial que musical ? Même si la technicité de la production d’A Long Goodbye lui donne plus de cohérence et de professionnalisme, il suffit d’écouter le premier album de Busman’s Holiday (Old Friends) pour se convaincre que l’inventivité de ce groupe ne date pas d’aujourd’hui. Par contre on ne passera pas sur la proximité et la simplicité qui se dégage de ce duo : outre le physique Laurel et Hardy (réminiscence que je disais…) qui nous rend ces deux gars par essence avenants, leur communication offre un second degré et une certaine distanciation sur leur production qui les rend d’autant plus sympathiques. Pensez : le 1er, jour de sortie de l’album, était offert un coussin péteur à l’effigie du LP pour tout achat du disque en magasin. Ajoutez à cela la confection par Joyful Noise d’objets vinyles classieux ainsi qu’une pochette toute en poésie, et vous obtiendrez l’une des grandes réussites de 2014, pour autant que je me prenne pour Cassandre.