A Dawn To Fear
Cult Of Luna
On ne voudrait pas jouer la carte du "c'était mieux avant", mais il y a quand même un petit temps que le post-metal bande mou. Ce courant musical a connu son âge d’or entre la fin des années 90 (grâce à Isis et Godflesh) et les années 2000 (avec Pelican, Russian Circles, Intronaut), mais souffre depuis plusieurs années d’une certaine décrépitude, tant les similarités entre certains de ses protagonistes peuvent parfois paraître excessives. Quelques rares formations parviennent pourtant à insuffler de la nouveauté à ce genre très codifié pour accoucher de quelque chose d’unique. Au niveau européen, on pense évidemment à des entités comme Amenra ou The Ocean mais un peu plus au nord, ce sont surtout les Suédois de Cult Of Luna qui font depuis longtemps partie des rares à avoir su s’émanciper du lourd héritage laissé par les OG Neurosis pour s’imposer comme une vraie référence en la matière.
Et une référence, Cult Of Luna ne l’est pas devenu par hasard. Aborder sa discographie est une expérience exigeante, mais hautement gratifiante. Chaque album des Scandinaves explore un nouvel horizon et des facettes différentes d’une musique souvent qualifiée de redondante pour un rendu immédiatement reconnaissable, mais chaque fois remarquable. Tenter de trouver une quelconque faille ou baisse de régime sur un album de COL se révèle totalement futile.
Six années après leur petit dernier, les six musiciens menés par Johannes Persson reviennent donc avec A Dawn To Fear, un huitième album dont l’écriture a pris plus de temps que d’habitude et sur lequel l’alchimie entre ses géniteurs irradie à nouveau. De fait, le groupe n’a que peu d’équivalents lorsqu’il s’agit d’introduire une boucle avant de développer un vaste univers autour. Sur cette nouvelle production, la première sur Metal Blade Records, les Suédois ont rarement sonné aussi lourds, sans pour autant délaisser ce côté progressif, composante essentielle de leur musique.
L’entrée en matière sur le single "The Silent Man" illustre le côté hautement immersif de la musique de COL. À l’inverse des deux précédentes productions, Mariner en collaboration avec Julie Christmas (2016) et Vertikal (2013), A Dawn To Fear n’est cette fois pas centré autour d’une thématique particulière. S’il doit se digérer lentement et que le storytelling y est moins prépondérant, le disque accomplit pourtant une excellente synthèse de la discographie de la formation. On y retrouve au long de son écoute des éléments qui ne sont pas sans rappeler les différentes ères du groupe, du Post-Hardcore de Cult Of Luna (2001) en passant par le Post-Rock de Salvation (2004), ou l’électronique plus froide de Vertikal (2013). Grâce à sa diversité et aux nombreuses facettes qu’il expose, A Dawn To Fear se rapproche d’ailleurs fortement du très complet et indétrônable Somewhere Along The Highway (2006).
Passages instrumentaux, changements rythmiques, beuglantes vocales… En 79 minutes, Cult Of Luna développe un langage dont il a une maîtrise totale. En plus de sa production cristalline, le disque frappe fort grâce au jeu de batterie, tout en variations, de la machine Thomas Hedlund - qui est aussi le mec qui arrondit ses fins de mois en accompagnant Phoenix sur scène. L’ajout discret mais bien présent de synthétiseurs et d'orgues confère également à certains morceaux une profondeur indéniable, comme sur le formidable "Nightcrawlers", assurément l’un des meilleurs écrits par le groupe. Chez Cult Of Luna, chaque instrument trouve une place bien distincte au sein des compositions et ce sont souvent ces petits détails se frayant un passage au milieu des guitares qui font toute la différence, à l’image du somptueux épilogue tout en crescendo "The Fall".
C’est dense, texturé et si le résultat paraît légèrement moins ambitieux qu’à l’accoutumée, il n’en reste pas moins extrêmement efficace. On pourrait penser que le groupe ne se réinvente pas, mais ce serait une erreur. Cult Of Luna sonne effectivement toujours comme Cult Of Luna, mais en plus massif, en plus abouti, en plus complexe. Le sextet ravive à nouveau la flamme du genre et on voit bien mal qui pourra leur ôter leur statut de porteurs de torche de ce côté de l'Atlantique.