796

Meryl Streek

Venn Records – 2022
par Gwen, le 1 décembre 2022
8

796, c’est le nombre exact de corps d’enfants découverts dans un charnier à l’arrière de l’orphelinat Bon Secours dans le comté irlandais de Galway, en 2016. Ce foyer soutenu par l’État, géré par l’Église et dirigé par des religieuses, était supposé prendre en charge de jeunes femmes enceintes, déjà isolées et humiliées par une société ultra bigote. Entre 1921 et 1965, leurs enfants leurs seront systématiquement retirés à la naissance pour, au mieux, être adoptés en toute illégalité par de riches familles américaines, au pire, mourir de malnutrition dans un silence accablant. Une fois cet épisode de l’Histoire irlandaise dévoilé dans ses détails les plus sordides, on saisit mieux ce qui donne l’envie à Meryl Streek de bastonner tout le monde à coups de tabouret de bar sur les morceaux "796" et "False Apologies". Sur tous les morceaux, en fait. 

Car Meryl Streek est sans doute le mec le plus vénère de son île. Un tsunami rageur pour lequel aucun sujet n’est hors de portée et personne n’est à l’abri. Inspiré par un punk littéral à la Dead Kennedys, le dubliner écrit avec ses poings sans donner dans la métaphore ni le sous-entendu. Lorsque "Demon" examine les ravages de l’alcool, "No Justice" expose la violence des gangs. Lorsque "Dad" commémore les instants passés avec son père avant que celui-ci ne se donne la mort à l’âge de 39 ans, "Death To The Landlord" incite à pendre par les pieds les proprios sans scrupule (tout est dans le titre). Pas de licorne, pas de nuage rose, pas de lumière au bout du tunnel. Tout a un goût de merde. Cette expérience purgative semble pourtant nécessaire. À tout le moins, elle permet de maintenir sa pression sanguine à flots. 

Pour encadrer ses spoken words – ou plutôt, ses spitted words, un débit auquel les Sleaford Mods nous ont déjà habitués — Meryl Streek ne choisit pas vraiment son genre de prédilection. Se percutent en vrac des riffs nerveux, des boîtes à rythmes bien binaires, des envolées de cordes, des beats électro ou encore des extraits d’émissions d’infos. Tu ne sais jamais vraiment avec quelle lame tu vas être scalpé la seconde suivante. Même si ce collage sonore tend à s’épuiser sur la longueur, il a le mérite de conserver l’attention jusqu’au bout sur sa narration au cordeau.

Alors que l’Irlande nous fournit son lot de produits de qualité à peu près tous les mois (Sinead O’Brien, Just Mustard, The Murder Capital), voilà qu’un vilain petit canard vient chier dans la mare. Bien loin du romantisme pluvieux de Fontaines D.C. ou du terrorisme acoustique de Gilla Band, Meryl Streek est probablement la chose la plus féroce arrachée à un fossé dublinois.

Le goût des autres :