5 Dec.
Kashiwa Daisuke
Si le Japon musical regorge de pépites en tous genres, il faut encore chercher au bon endroit pour trouver la perle rare. Si on s’en tient aux consonances strictement électroniques, nous tenons là deux extrêmes à nuancer à tous prix : d’une part, en bas de tableau figure la J-pop, genre musical à fuir comme la peste ; d’autre part le Japon tient le haut du panier en matière d’artistes aussi sombres qu’extravagants (on citera à titre d’exemple Keiji Haino, Ryoji Ikeda, Ryuichi Sakamoto, Geskia...). Entre ces deux pôles, forcément peu représentatifs, se tient prête une génération de producteurs avide de faire connaître au monde la singularité de leur prose. A ce titre, le label nippon Noble pourrait bien nous être utile dans notre défrichage musical, l’écurie ayant à proposer une masse non négligeable d’artistes méritants.
Kashiwa Daisuke pourrait très bien être de ceux-là. C’est que ce Japonais maîtrise la matière électronique sous toutes ses formes, pourvu que l’obscur soit au rendez-vous. Après une longue introduction au piano qui sonne comme le meilleur du classique presque aléatoire, Kashiwa se lève enfin, prend les machines à bras le corps pour proposer un « Requiem » de toute beauté, un titre pour lequel bon nombre de producteurs actuels seraient prêts à échanger leur carrière entière pour prétendre l’avoir composé. Sans verser dans un breakcore inlassablement rapide, le Japonais prend de court l’auditeur avec un amen break couché sur un orchestre symphonique chevaleresque, pour finir dans un bordel de basses techno presque proto-hardcore, jumelées à son solo de guitare électrique au sommet ainsi qu’à un jeu de guitare basse totalement approprié dans ces quelques minutes de bonheur intense. Et l’étonnement se verra grandissant au fur et à mesure de l’avancée dans un 5 Dec. extrêmement prometteur.
« Bogus Music » reprend l’abstract hip-hop là où l’avait laissé Prefuse 73 (ou Geskia plus récemment), prenant le soin d’y ajouter à nouveau guitares électriques et autres guitares basses défroquées. « Taurus Prelude » et « Black Lie, White Lie » sautent quant à eux les deux pieds joints dans un créneau étonnamment techno, alignant deux chevauchées telluriques entre basses massives et cordes saignantes. Comme si rien ne semblait impossible, Kashiwa Daisuke tente à présent le minimalisme moléculaire à la Alva Noto, transcendant une micro-electronica à l’état de signal sonore par un talent de mélodiste certain (« Silver Moon »). A ce stade, rien n’est plus bluffant que de voir le Japonais se prêter à mille contorsions pour embrasser une palette de styles en tous points divergents, comptant sur ses relances organiques de haute volée pour donner à ce tout une cohérence relative. C’est peut-être là le grand défaut d’un Kashiwa que l’on aurait préféré moins proche de ses pairs pour se faire une idée définitive de sa capacité à créer son propre univers.
Heureusement, la fin de l’album s’attache à réparer cette défaillance, toute relative, dois-je le préciser. Car c’est finalement quand piano solaire, torche électrique et guitare basse font corps avec la matière électronique que le grand Kashiwa nous montre à quel point son intelligence de jeu fait de lui un indispensable au cœur de la sphère électronique. Les instants de grâce mélodique sont ici sans cesse reversés dans le magma brûlant d’un corps digital, tantôt imposant, tantôt intimiste, pour finalement déboucher sur des pistes étoilées à la préciosité indéniable. Avec un tel programme en main, on est prêt à pardonner à ce Japonais les quelques écarts qu’il commet dans sa course au titre d’artiste le plus volontaire de l’année.