12 Memories
Travis
Assez étrangement, les chroniques qui se sont, jusqu’à présent, penchées sur ce nouvel album de Travis ont toutes dit plus ou moins la même chose, à savoir que l’accident qui a failli coûter la vie au batteur Neil Primrose en 2002, plutôt que provoquer la mort du groupe, l’a forcé à accoucher de lui-même, et à se transcender, en donnant naissance à leur meilleur album à ce jour. Point final.
Pourtant, le véritable événement de ce 12 Memories, c’est l’absence de Neil Godrich à la production. Et la question qu’il faut se poser est la suivante : qu’est-ce qui a poussé et ses copains à se passer de l’artisan de leur son depuis le fabuleux The Man Who en 1999 ? Faute de réponse officielle, on se perd en conjectures : et si Godrich avait eu sa dose de Travis ? Et si le groupe était pris en flagrant délit d’excès de confiance en soi ? Et si c’était Godrich qui avait tenté de noyer Primrose ?
Bref, plus que l’accident du batteur, c’est ce changement fondamental dans la composition du groupe qui importe. Comme pour Radiohead, Godrich faisait figure de quatrième Mousquetaire, et sa fameuse patte sonore imprégnait chacun des morceaux du groupe. Or, sur , les réminiscences du Travis "godrichien" ne résonnent encore guère que sur "Re-Offender", premier single fragile et assez somptueux. Globalement, ce nouvel album tranche en effet avec les deux derniers opus du quatuor. Tandis que ces derniers regorgeaient de mélodies immédiates et assez guillerettes ("Why does it always rain on me?" en est l’exemple parfait), celui-ci s’avère beaucoup plus amer, mélancolique, abrupt tant les refrains semblent moins fignolés, et il faudra à l’auditeur, assez déstabilisé, plusieurs écoutes pour s’approprier les chansons.
Néanmoins, il est impossible, après ce léger temps d’adaptation, de ne pas reconnaître le talent de compositeur de Fran Healy, ici au mieux de sa forme vocalement parlant. "Peace the Fuck Out", avec son pont très sixties, semble de premier abord assez mineure, mais parvient à convaincre là aussi au bout de plusieurs écoutes, tandis que certains morceaux comme "Mid-Life Krysis" nous rappellent qu’il s’agit bien d’un album des auteurs de "Sing". Quant à "Paperclips", peut-être le sommet de l’album, elle symbolise à elle seule la mutation du groupe vers des sujets plus graves que par le passé.
En somme, voici un album beaucoup plus sombre que le lumineux The Man Who, et moins attachant de prime abord, plus difficile d’accès, peut-être plus touffu, quand Nigel Godrich amenait le groupe à pratiquer une certaine forme d’épure et à rechercher l’efficacité mélodique. Mais le charme fonctionne encore, et on reconnaît bien là le Travis que l’on a aimé il y a quelques années. Sans doute pas leur meilleur album, non, quant à celui de la maturité, seul le temps permettra de juger.