12
A$AP Twelvyy
212 est l’indicatif du quartier new-yorkais d’Harlem. 730, dans le langage urbain, désigne une personne déséquilibrée - "If you 730, that mean you crazy" rappait Big L sur le classique « Ebonics ». 1090 est une expression dénonçant une attitude crapuleuse qui prône la traitrise avant la loyauté ("10% loyalty, 90% grimey"). Mis bout à bout, ces 10 chiffres forment un numéro de téléphone – 2127301090 – qui a bien failli être le titre du premier projet solo d’A$AP Twelvyy. Cette symbolique allusive, qui renvoie Dan Brown et son Da Vinci Code à ses chères études, est un clin d’œil allégorique aux rues bouillonnantes de la ville qui ne dort jamais - les fans les plus hardis ont évidemment essayé d’appeler le numéro fictif, en vain. Dans une démarche marketing grand public, le MC new-yorkais et membre fondateur du A$AP Mob préfèrera finalement raccourcir et simplifier le titre de son album, évitant ainsi des two-one-two-seven-thirty-ten-ninety interminables et, avouons-le, peu compréhensibles pour l’auditeur lambda. 12, chiffre représentant Harlem, sera retenu.
L’album s'ouvre sur la piste autobiographique « Castle Hell » qui se distingue par un storytelling poignant et efficace – un art littéralement en voie d’extinction dans un game toujours plus mongolo et dominé par le mumble rap de Lil Uzi Vert, Young Thug et Future. On y apprend que Jamel Philips, originaire de Harlem mais résidant aujourd'hui dans le Bronx, est un MC 100% issu de la Beast Coast, ce mouvement urbain qui règne la scène new-yorkaise depuis quelques années maintenant. Après l’âge d’or des années 90, la scène contemporaine - nostalgique de ces beaux jours où la Big Apple rayonnait - se cherche toujours une identité solide et pérenne qui verra les discographies de ses têtes de gondoles rentrer dans la légende. Malheureusement, force est de constater qu’aujourd’hui les albums d’A$AP Rocky ou de Joey Bada$$ (pour ne citer que deux des grosses pointures actuelles) sont loin de redistribuer les cartes - comme ont pu le faire les discographies de Chuck D, LL Cool J, Big Daddy Kane, Rakim, Nas ou Jay-Z. Suite à ce constat alarmant, les frontières musicales entre les différents quartiers emblématiques de la ville - autrefois synonymes de beefs mémorables - semblent aujourd’hui s’effacer pour ne former qu’un unique mouvement qui tisse des liens étroits entre les différents collectifs dominant le marché régional. A$AP Twelvyy a toujours été membre de cette coalition grandissante et il n’est pas étonnant de retrouver sur 12 toute une panoplie de rappeurs new-yorkais: A$AP Rocky, A$AP Ferg, Joey Bada$$ ou encore les Flatbush Zombies ont tous répondu à l’appel.
Mais paradoxalement, ce sont les pistes en solo qui sortent vraiment du lot - le banger « Periodic Table », l’incroyable « L.Y.B.B. », l’intime « Sunset Park » ou le poignant « Brothers ». En digérant l’album, on constate que Twelvyy n’a finalement besoin de personne pour briller et que son talent, ses rimes et ses beats se suffisent à eux-mêmes. Pourtant entouré de gros noms, le MC parvient à laisser son empreinte sur un disque complet, aux sonorités contemporaines et accessibles, qui respecte néanmoins l’héritage musical du berceau qu’est le South Bronx. Le premier projet solo d’A$AP Twelvyy se révèle donc être bien plus qu’un vulgaire passe-temps: avec 12, on assiste à la naissance d’un nouveau protagoniste, solide et sérieux, de la scène new-yorkaise.
Mais est-ce suffisant pour éviter la pente descendante sur laquelle glisse inlassablement l’ensemble de la Beast Coast ; une machine enrayée et qui s'effondre lentement sous la popularité écrasante des scènes d'Atlanta et de Toronto ? Nous ne présenterons pas A$AP Twelvyy comme le MC qui fera renaitre une scène qui semble mourir à petit feu. Néanmoins, son album lui donne un coup de pouce bienvenu. Car si elle ne retrouve pas son panache d’antan, elle risque bien de s’éteindre dans l’indifférence totale et d'emporter pas mal de carrières avec elle.