1 Time Mirage

Knife Knights

Sub Pop – 2018
par Émile, le 11 octobre 2018
7

On parle souvent de l'angoisse de la page blanche pour l'écrivain maudit, mais rarement de celle du projet Ableton vierge pour celui qui se retrouve seul face à sa créativité et son home studio. D'où une attirance pour la formule groupe pour ceux qui veulent limiter les interactions problématiques avec eux-mêmes. Et comme pour les relations amoureuses, c'est souvent quand on cherche une certaine indépendance dans le projet solo qu'on se rend compte qu'on bosse mieux à plusieurs - c'est aussi valable pour les relations sexuelles, of course. Cette histoire, c'est celle d'Ishmael Butler, une figure majeure de l'histoire du rap américain.

Alors, comme d'habitude, en voyant le nom de Monsieur Ishmael Reginald Butler, on n'est jamais vraiment inquiet. Vingt ans après avoir tracé un des sillons fondamentaux du hip-hop avec Digeable Planets, le mec est toujours capable de réinventer son duo Shabazz Palaces à chaque album. De l'original mais en restant dans l'actuel, de l'expérimentation mais en restant dans l'audible, le credo est simple à entendre, mais dur à mettre en place. C'est pourtant ce qu'on retrouve une fois de plus, chez Knife Knights.

Knife Knights, c'est en quelque sorte l'éternel retour en couple pour un type qui cherche depuis le début un délire de célibataire. Après quatre beaux albums et presque dix années de collaboration avec Tendai "Baba" Maraire, le moment était venu de se consacrer à un projet plus indépendant, plus personnel - on vous rassure, Shabazz Palaces ne se sépare pas. Cette fois-ci c'est chez un collaborateur de longue date qu'il a trouvé refuge: le musicien et ingénieur du son Erik Blood. Lui aussi natif de Seattle, il a travaillé plusieurs fois avec Shabazz Palaces, mais aussi avec TheeSatisfaction. Avec Knife Knights, Ishmael Butler retrouve celui dont il dit « qu'il l'aide à se réaliser ». 1 Time Mirage est donc la concrétisation d'une amitié longue de quinze ans et permet à ses deux géniteurs d'explorer de nouveaux territoires.

Mais si le hip-hop reste la toile de fond de l'album, il s'évapore en surface. Une ambiance beaucoup plus soul/R'n'B se dévoile, comme dans « Give You Game », balade amoureuse spatiale sur laquelle on retrouve Marquetta Miller, ainsi que Stasia Iron, membre de TheeSatisfaction. L'atmosphère old school qui enveloppe le projet génère une positivité délirante, un retour à une vraie simplicité musicale et thématique, comme sur le très drôle « Come On Let's Go », véritable hymne à un très drôle rien-du-tout. Mais c'est aussi cette positivité qui rejoint plus étrangement des sonorités post-punk et 80's complètement assumées, notamment sur « Can't Draw The Line ». Le délire se prolonge même jusqu'à tirer du côté du shoegaze, ou de manière générale sur le jazz, sentant bien l'influence de types de leur entourage comme Thundercat ou Flying Lotus. En fait, c'est probablement la pochette qui résume le mieux l'ambiance de l'album : une caisse qui roule à tombeau ouvert sur une autoroute qui n'existe pas encore, des morceaux de gens qui se promènent dans un espace abstrait et dada, le tout sur fond de mélodies d'un séduisant romantisme SF.