Yours & Mine
Steffi
A force de ressasser en permanence la filiation ténue qui unit le label Ostgut Ton et le club Berghain, on en oublierait presque que son petit frère, le Panorama Bar, est lui aussi partie prenante dans l'écurie allemande. Exit donc les Ben Klock, Len Faki et autres Marcel Dettmann, adieu la techno froide et sombre, on acclamera ici la chaleur du son house et les after abusives dont le club a fait sa spécialité. Mais célébrer le premier long format de la belle Steffi, c'est avant tout parler d'une carrière qui a mis du temps à démarrer – en tant que productrice il s'entend. Car Steffi a toujours été une référence derrière les platines. Vu qu'il n'y a qu'un pas entre la résidence et la production, on découvrait il y a deux ans les premiers pas de l'Allemande à travers un « 24 Hours » prometteur, sorte de commande afin de compléter à la hâte la compilation Panorama Bar 02 menée par Tama Sumo. Peu prolifique, on aura seulement droit à trois petits EP puis au magnifique « My Room » sur la compilation-anniversaire Fünf.
Ce qui est encore plus vrai que ce bla-bla stérile, c'est que ce Yours & Mine est une bombe littérale. Là au moins c'est clair et précis. Un LP à la cohérence sidérante, entièrement versé dans une deep house analogique, sensuelle et triste. Ça transpire Detroit par tous les pores, ça groove en permanence avec une classe qu'on avait presque oubliée. En neuf titres et une heure de musique, Steffi balaye tous les disques de house fonctionnels qui ont pu se présenter à nous ces derniers mois. Mais revenons un peu sur notre sujet. Yours & Mine est en réalité un disque de house infecté par le virus techno. Steffi a probablement passé trop de temps aux côtés de la gent masculine du Berghain, du moins assez pour ne plus pouvoir se détacher des claviers deep techno « à la Aril Brikha » - dont le parallèle avec son Ex Machina est édifiant. Avec un grain tout ce qu'il y a de plus originel, Steffi va donc unir avec talent groove house et tension techno, greffer un cœur à la machine pour éclater les distinctions entre cerveau et dancefloor, réflexion et delirium.
On retrouve ainsi sur Yours & Mine tous les canons de la musique deep, qu'elle soit techno ou house: la discographie impeccable de B12, la fusion techno/ambient/acid proposée par Laurent Garnier à ses tous débuts ou la justesse infinie d'un Anthony 'Shake' Shakir. Il y a ici des finesses acid qui tranchent dans les nappes de velours (comment ne pas évoquer le superbe « Manic Moods »), des cosmos entiers qui s'épanchent devant nos oreilles ébahies, le tout dans un savoureux mélange de contemplation et de nervosité. La marque des grands quoi.
On nous traitera sûrement de lobbyistes à rabâcher tout le temps les bienfaits du label Ostgut Ton – comme on a pu le faire avec Ben Klock, Marcel Dettmann ou la récente compilation-anniversaire – mais il faut bien avouer qu'on est ici en face d'un produit de qualité supérieure. Le mois de février débute seulement et voilà que Steffi place la barre très haute d'entrée de jeu. Les autres n'auront qu'à s'aligner, ou faire pâle figure devant ce classique instantané qu'est Yours & Mine. La messe est dite.