Watch The Throne
Jay-Z & Kanye West
En 2001, Jay-Z devait à Kanye West la production de sa meilleure galette, The Blueprint. De la pop avec des gros mots boursouflée à la soul, un guilty pleasure par excellence à une époque où Mr. West se contentait de se faire appeler producteur plutôt que Louis Vuitton Don. Dix ans plus tard, alors que les deux monstres se retrouvent sur ce Watch The Throne, bien de l'eau à coulé sous les ponts : Jay-Z enchaîne des albums quelconques à peine sauvés de la noyade par un flow qui devient poussiéreux, tandis que Kanye West explose son ego tant par sa productivité et son égocentrisme légendaires que par la qualité d'albums solos prenant la forme de raz-de-marée pop et arty. Et si les deux copains n'ont plus grand chose à voir musicalement (et qualitativement), c'est toujours la flamme du premier Blueprint qui brille en nous de retrouver les deux énergumènes sur un album qui tienne la route.
Et pourtant dès le départ, on a du mal à concevoir Watch The Throne comme le champ de bataille idéal pour rassembler les deux stars tant les instrus sont putes en diable, bourrées de claviers dégueulasses et de samples souvent grossiers (est-ce vraiment nécessaire d'autotuner Nina Simone?). La production de West et de sa clique est une fois de plus une mine d’ambiguïté qui ne semble pas destinée à s'améliorer au fil des albums. Et si c'est toute cette ambiguïté qui, bien jaugée, a fait de My Beautiful Dark Twisted Fantasy la perle qui a rythmé notre hiver, c'est aussi elle qui envoie Watch The Throne droit dans le ravin, plongeant tête la première dans tous les écueils.
Car on ne va pas se le cacher, si l'on vient se casser la nuque sans déplaisir sur les bourrins mais jouissifs « Niggas In Paris » et « Gotta Have It », que l'on se surprend à dodeliner de la tête sur le beat à l'arraché de « Otis » ou que l'on s'extasie sur « Murder To Excellence » qui est pile poil le genre de trucs qu'on attendait d'un tel diptyque, c'est bel et bien au mauvais goût que l'on confine les deux tiers du temps, celui-ci étant ici personnifié par le dubstep poussif de « Who Gon Stop Me » et le ridicule « Why I Love You ». Jamais les moments de grâce pop de My Beautiful Dark Twisted Fantasy ne se manifestent ici et pire encore, même le flow de Kanye West swaggé à l'excès, même s'il rattrape de justesse par ses refrains et ses couplets les plus catchy les pitreries d'un Jay-Z qui nous donne juste envie de stopper net l'album, confirmant une fois de plus que depuis quelques années il n'est plus qu'une parodie de lui-même. Tout juste bon à larguer des « hanhan » à tout bout de champ pour cacher la pauvreté d'un flow qui rivalisait jadis avec celui des plus grands, s'enterrant à tout jamais dans le court couplet d'un « Lift Off » qui réussit à faire passer Kid Cudi pour un freestyleur talentueux, on se dit une fois de trop qu'il est vraiment temps que Jigga prenne sa retraite pour le bien de nos esgourdes. Et qu'il s'y tienne.
Car pour lui, plus que jamais, il s'agit bien de regarder le trône qu'il occupait du temps où il incarnait le hip hop et lui donnait des lettres de noblesse d'une telle flamboyance qu'il arrive péniblement aujourd'hui à singer le plus moyen des MCs. Watch The Throne, non content d'être une belle déception venant de Kanye West (qui s'en relèvera sans doute aucun lors de sa prochaine livraison solo), consacre le décès musical d'un ancien rappeur d'exception devenu poseur miteux. Le Roi est mort... Vive le Roi !