Total 11

Various Artists

Kompakt – 2010
par Simon, le 3 novembre 2010
6

Chroniquer le onzième volet de la série Total revient plus à argumenter sur un débat d'idées qu'à jouer les chroniqueurs enflammés par la prétendue superpuissance du groupe industriel Kompakt. Devenu distributeur mégalomane, société-mère et usine à filiales (Pop, Speicher,...) d'une tech-house grand public, le label allemand balance inlassablement ses compilations Total à un rythme presque honteux, conscient que son public est prêt à tout manger à condition que le produit porte l'étiquette « Made In Köln ». La structure s'étend sans jamais perdre le fil de ses idées commerciales, profitant dans les grandes largeurs d'une reconnaissance complaisante qui lui a été refilée par des élites peu regardantes, et surtout amatrices de buzz usurpés.

Il ne faut pourtant pas s'appeler André Manoukian pour décoder la logique de cette institution qu'est Total. Onze double-disques, vingt-quatre plaques, trois cent titres et des brouettes. Tout repose en effet ici sur l'effet de masse, sur le bloc que constitue chaque compilation. On vous refile l'objet comme une patate chaude, à vous de vous débrouiller avec ce plat déjà trop difficile à mâcher. Qu'importe au fond, la musique pourrait parler d'elle-même, s'imposer malgré son gigantisme. Si seulement tout était si simple. Car il faut bien être honnête, cette série est connue pour être la décharge – tout en élégance – des seconds couteaux et des faces B les plus aléatoires. Après tout on ne peut en vouloir aux producteurs, leur travail est de produire. A la pelle si possible, car cette machine a la dalle, et consomme plus que de raison. Non, nous pointons du doigt les dirigeants de cette vaste entreprise, eux à qui revient la lourde tâche de trier. C'est souvent là que la bât blesse, quand la quantité l'emporte finalement sur la qualité.

Car la tradition veut que pour un titre de qualité se succède une petite poignée de titres creux, d'une techno/house sans âme. Alors au beau milieu de ce joli foutoir on fait comme on peut, on navigue, on se fatigue à faire faire le grand écart entre bonnes surprises et vraies désillusions. Facile comme une machine à popcorn : maïs, sucre, huile pour un résultat qui va de la sucrerie indispensable au grain mal cuit qui fracasse la dent. Mais la bête a tous les tours, et pour pallier cette inconstance elle a deux armes de choix. Premièrement, le recours aux cadors du label : Michael Mayer, Justus Köhncke, Superpitcher, Gui Boratto, The Field, Mathias Aguayo ou Wolfgang Voigt. Il faudrait être, selon certains, hérétique pour aller taper contre ces évangélistes ultra-plébiscités. Ceux-là généralement font le sale boulot, accusant ci et là une baisse de forme qu'on remarquera à peine dans ce mouvement de foule. Ensuite il y a cette variété quasiment insultante dont fait preuve le label, et tout y passe : tentatives un poil rugueuses, nu-disco synthétique, synth pop chantée sur fond de globalisation tech-house. Il y en aura pour tous. S'étendre sans se répandre, voilà la clé. Et pour le coup c'est raté.

Puis il y a les éditions qui esquivent de peu la faillite collective. On évoquera les tout débuts de la série ou le septième volume. Ce onzième volume pourra lui aussi passer son essai à quelques centimètres de la barre. C'est vrai, on retrouve encore et toujours cette foutue diversité, on pourrait se croire à Disneyland, mais l'ensemble séduit malgré tout. Comment? Et bien simplement en forçant l'exploit grâce à ses cadors (Michael Mayer, Gui Boratto, Superpitcher) et ses belles surprises (Sebastien Bouchet, Mugwump, Jatoma, Maxime Dangles). L'histoire se répète, et finit heureusement cette fois. Bref, tu me vires les remixes inutiles (tous pour ainsi dire) et les titres bons à remplir les bacs à légume de ton frigo et tu te retrouves avec une compilation plutôt jolie sur la longueur. Mais quelle longueur.