Tomorrow's Harvest

Boards Of Canada

Warp Records – 2013
par Aurélien, le 2 juillet 2013
8

Il n'a fallu qu'un mois et demi pour que Boards Of Canada brise un silence long de huit ans, joliment aidés par une promo minimaliste (mais rondement menée) qui n'a rien eu à envier à celle, pharaonique et épuisante, déployée par Daft Punk. Huit ans pendant lesquels le duo écossais a alimenté les rumeurs les plus folles - on parlait même d'un double album l'an dernier - sans jamais que les intéressés n'osent foutre un pied hors de leur studio, de peur de troubler l'eau qui dort en levant ne serait-ce qu'un coin du voile. Ce mystère tiendra d'ailleurs debout jusqu'à la récente sortie du joliment nommé Tomorrow's Harvest, plaque résolument comateuse et fragile qui prouve sans mal qu'il y a encore beaucoup de belles choses dans la musique de la fratrie.

C'est tous drones dehors que Marcus Eoin et Michael Sandison brisent ce trop long silence, fracassant contre le sol les guitares niaises de The Campfire Headphase. Ici, plus question d'enfiler des perles à coups de nappes cramoisies et de mélodies abstraites: l'heure est désormais à l'externalisation, à la mise en son de toute la bile contenue par ces huit ans de catastrophes économiques, naturelles et donc forcément humaines. Autant dire qu'avec ça, hors de question de sombrer dans l'écueil trop évident de l'album-concept : si Tomorrow's Harvest donne parfois le sentiment de s'écouter jouer de jolies nappes un peu chiantes, celui-ci surprend par son habilité à montrer les dents et à s'imposer des montées en puissance douces-amères assez déconcertantes de la part d'un groupe qu'on pensait condamné au surplace.

Mais ce quatrième album présente aussi tous les symptômes d'un album malade: sa narration chancèle souvent, croise des périodes plus lumineuses mais toujours pour trébucher de plus belle avant de lâcher définitivement prise en fin de course. Le voyage est similaire à un Geogaddi sous chimiothérapie dans lequel Boards Of Canada jongle mieux que jamais entre ombre et lumière, équilibrant certains passages familiers par des morceaux de bravoure qui semblent comme bouffés par la gangrène. Et dans lesquels le snare de fin de vie de "Jacquard Causeway" ou la progression martiale de "Come To Dust" brillent de mille feux, tels de véritables diamants noirs.

Au bout du compte, BoC recherche davantage la rareté que la révolution sonore, c'est un fait. Mais à l'instar de Portishead sur Third, on est clairement face à un produit qui a pris son temps pour cristalliser un pas en avant racé. Si Tomorrow's Harvest porte la signature de ses deux géniteurs, il est aussi plus nuancé, plus énervé et sans doute aucun plus adulte que tous les précédents albums du groupe. Inutile de préciser qu'après pareil essai, Boards Of Canada peut s'en retourner hiberner paisiblement: on a quelques années pour ressentir, disséquer, et s'émerveiller de ces dix-sept titres. Car depuis le temps on le sait bien, il n'y a que sur cette échelle temporelle que se révélera toute l'incroyable préciosité du cette entreprise.

Le goût des autres :
8 Maxime 7 Bastien