Run the Jewels
Run the Jewels
Entre la sortie de I’ll Sleep When Your Dead et celle de Cancer 4 Cure, ce sont pas moins de cinq années qui se sont écoulées. Cinq années pendant lesquelles, en toute franchise, on n’a pas vraiment pensé au retour d’El-P tant le hip hop américain a été généreux en sorties essentielles et en moment cathartiques. Et si l’on fait exception de l’album de jazz (High Water) en 2004, ce sont trois pauvres petits albums que nous a servi El Producto en dix ans. Tout le contraire d’un Killer Mike qui s’est fendu sur la même préiode de six albums, d’un joli paquet de mixtapes et de l’une ou l’autre apparition remarquée chez les copains. Et si c’est le producteur new-yorkais qui a relancé la carrière du vétéran d’Atlanta en lui offrant son meilleur album depuis bien longtemps (l’imparable R.A.P. Music), Killer Mike semble avoir quant à lui donné l’envie à El-P d’être autrement plus présent que par le passé. Mais pas n’importe comment puisque les deux hommes bouclent en quelque sorte la boucle en nous sortant un album collaboratif sur Fool’s Gold – label du trublion A-Trak dont on ne saurait jamais assez souligner l’apport essentiel au hip hop indé moderne, à défaut de faire avancer la musique électronique.
Et rapidement, on comprend qu’on va ici se complaire dans une comfort zone de qualité : les vieilles recettes de R.A.P. Music et Cancer 4 Cure, nos deux hommes en usent sans jamais en abuser. En même temps, ils seraient bien bêtes de ne pas le faire tant ce son noir et lourd colle bien avec l'époque déglinguée que nous vivons. Cet album éponyme, ce sont dix titres qui favorisent les ambiances anxiogènes mais n’ont pas pour vocation de provoquer la réflexion là où « Reagan » sur R.A.P. Music ou une bonne partie des titres de Cancer 4 Cure se voulaient porteurs de messages forts véhiculés par des textes au vitriol. Ici, on est venu pour foutre le souk, casser des trucs et gueuler comme des putois. Et surtout pour ne pas se lancer dans un concours de la plus grosse bite – un passe-temps pourtant élevé au rang de discipline olympique chez les rappeurs. Run the Jewels fonctionne de la sorte parce que ça fait du bien certes, et que c’est probablement le meilleur moyen pour les deux hommes de trouver un terrain d’entente fertile. Malgré des styles diamétralement opposés (El-P le psychosé vs. Killer Mike le rouleau compresseur), les deux emcees se servent de leurs collaborations passées pour trouver un juste équilibre et accoucher d’un album qui ne manque pas de qualités, de productions écrasantes et de titres forts. Et cerise sur le gâteau, c’est gratuit. Franchement, va falloir y aller pour jouer les fines bouches sur ce coup-là.