Oversteps
Autechre
On peut le dire aujourd'hui : oui, nous avons eu peur pour Autechre. Peut-être parce que pour la première fois, Autechre a divisé et a manqué de louper la marche avec un Quaristice pour beaucoup boîteux et pouvant mener le groupe dans l'impasse. Autechre ne nous avait jamais habitués au nihilisme profond : on avait pourtant résisté avec plaisir à l'autisme anxiogène de Confield ou à l'hyper-radicalité de Untilted, mais jamais le bas-peuple ne se serait satisfait de chutes de studios improbables. Quaristice a mené les deux warpiens vers un carrefour inéluctable, dont Oversteps fixerait à n'en point douter la nouvelle direction.
Mais rien ne pouvait nous préparer, même dans nos rêves les plus fous, à un sursaut d'orgueil aussi puissant que celui qui dessine les contours fougueux de ce nouvel opus. Hommes à têtes de dieux depuis bien longtemps, les deux d'Autechre trouvent encore la force d'imposer au monde étriqué de l'electronica un nouveau tour de force monumental. Contre toute attente, Rob Brown et Sean Booth gagnent encore en densité et en force de narration grâce à un appui mélodique renouvelé. De fait, on n'avait jamais connu le duo aussi limpide et affirmé dans sa science du beau. Les claviers sont d'une précision à couper le souffle et leurs articulations créent des vortex en négatif absolument superbes. Pas étonnant dès lors que pas mal de pistes se retrouvent dénuées de rythmiques – ou presque – tant l'accent est ici mis sur la spatialisation mélodique, les clavecins digitaux ou les caresses post-acid.
On retrouve là le Autechre des début, du temps où le groupe n'avait pas encore muté en association de technomonstres, chirurgien des rythmes pour alpinistes. Amber n'est pas si loin, Chiastic Slide non plus. A bien regarder ce Oversteps en forme de synthèse post-moderne, on se rend vite compte que ce nouvel album est un testament en bonne et due forme : chaque seconde de ce disque sent la nostalgie d'une carrière exemplaire et l'impossibilité de s'y contenir.
Oversteps est concassé, mais sous une autre forme, Autechre ayant troqué ses panoplies de guerre pour une autre approche : celle du contournement mélodique, de la rêverie sous anti-dépresseurs, passant un nouveau pallier de composition sans rien laisser derrière sinon l'admiration et l'émerveillement. Car ce nouvel album est à nouveau d'une complexité rare, mais d'une abstraction qui se prend par la main – néophytes ou inconditionnels de la formation confondus – et qui offre des écoutes chaque fois plus aiguisées pour se rendre compte que l'apparente facilité d'écoute cache encore un dédale de détails et de subtilité.
Autechre en est là, à un carrefour repoussé, conscient qu'avec ce nouvel album le duo est libre d'aller où bon lui semble, empruntant comme toujours des chemins de traverse qui lui assurent de demeurer le meilleur dans sa catégorie. A l'heure où les diktats rythmiques de l'electronica ont réduit leur maîtres à des spécialistes du code de la route, Autechre plombe encore un peu plus la concurrence en proposant un disque-pilier du genre, où tout est beau. Où tout est vrai.