One
Ben Klock
Berlin un samedi soir. Aux portes du Berghain, les murs vibrent et une impatience non dissimulée se lit dans les yeux des centaines de clubbers qui attendent leur sésame pour pénétrer l’un des cœurs de la nuit berlinoise. Ceux-là ne sont pas là par hasard, ils viennent pour l’un des plus grands héros de la nouvelle scène techno, celui qui fait mentir l’histoire en ravivant chaque semaine quinze ans d’un art complexe. Une fois à l’intérieur, il ne faut pas deux secondes pour s’acclimater à l’ambiance moite qui règne entre ces quatre murs : le club devient un palace pour les oreilles, le début d’un chemin que tous espèrent à nouveau initiatique. Car on ne badine pas avec la tradition, ici la techno est une affaire d’expert, on joue avec un son éduqué dès la première connexion et on élève la musique électronique à un stade supérieur pour qu’elle soit à nouveau reine incontestable d’un soir.
Dans cette rigueur de principe, Ben Klock fait largement office de nouveau patron européen, héritier d’un des nombreux royaumes nocturnes de la capitale allemande. Son peuple se nourrit exclusivement de techno dub rigoriste et l’inflexion sentimentaliste est ici crime de lèse-majesté, puni de mort musicale. Ses mentors d’hier lui ont légué un patrimoine difficile à défendre car extrêmement exigeant : Robert Hood lui a donné le sens du groove minimal (américain bien sûr), il lui a appris comment monter une longue séquence sur un kick et deux samples sans jamais lasser, sans jamais fatiguer ; les deux de Basic Channel lui ont appris à jouer haut dans les strates d’entrée de jeu, ils lui ont expliqué l’inutilité de la négociation tout en lui inculquant les bases d’un son qui n’a ni début ni fin mais qui se joue d’un milieu à un autre milieu. Pourtant cette noblesse, même quinze ans plus tard, ne s’apprend pas, tout au plus elle a la liberté de grandir dans des cœurs ouverts à la révolution techno : fière et inaltérable. Ben Klock est de ceux-là, ceux dont l’instinct n’a d’autre aspiration qu’à retranscrire le désert du cœur et l’extrême envie de liberté.
Intransigeance ne rime pas pour autant avec immobilisme des idées, la preuve en est le rapprochement soudain vers le dubstep/techno. Car si cet hybride est souvent catégorisé en fonction de la part que prend l’un ou l’autre genre dans la musique (ce qui donnerait une équation du type dubstep ; dubstep/techno ; techno ; techno/dubstep), Ben Klock représente la forme extrême de dub techno aux consonances anglaises. C’est ce qui devait arriver quand on passe trop de temps à la résidence du Berghain en compagnie de l’inestimable dubstep-hero Scuba. Voilà que ce triangle me rappelle que la boucle est bouclée : Detroit, Berlin, Bristol. Agitez-vous certes, mais n’oubliez jamais que nul ne vaincra contre ce triumvirat imparable : ni les détracteurs de l’aridité minimale (sangsues pouet-pouet en quête d’eux-mêmes), ni les prédicateurs d’une mort techno faussée. Et même si la complexité de One pourrait en faire fuir plus d’un, Ben Klock vient de poser là un des plus grands moments techno de l’année. Un samedi comme les autres à Berlin.