Nothing Was The Same
Drake
Les fans de Seinfeld sauront de quoi on parle (les autres, c'est probablement le moment de s'y mettre): dans un des meilleurs épisodes de la mythique sitcom des 90’s, intitulé « The Opposite », le personnage de George Costanza, un égoïste fini doublé d’un irascible glandeur, tente de mettre fin à sa spirale de la loose en faisant tout le contraire de ce que lui dicte un cerveau qui n'a jusque là pas vraiment répondu aux attentes - “if every instinct you have is wrong, then the opposite would have to be right” lui suggère à très juste titre son meilleur pote Jerry. Résultat? Tout roule. Dans le même temps, le personnage d’Elaine, la belle MILF à qui tout réussit, ne connaît que des soucis, comme si les rôles avaient été soudainement inversés. On vous rassure, ce rééquilibrage n’aura duré qu’un épisode. Ceci étant, celui-ci nous permet de faire un joli parallèle entre les carrières de Drake et Lil Wayne.
En 2010, le Canadien sortait son premier album sur Cash Money, et se faisait comparer un peu partout à l’autoproclamé ‘best rapper alive’ (quand ces comparaisons ne viraient pas à la critique), qui lui sortait cette année là son pathétique Rebirth. Depuis, la cote de Drizzy n’a cessé de grimper en flèche, tandis que Weezy est en 2013 une paresseuse machine à featurings qui se transforme lentement mais sûrement en une caricature du emcee flamboyant qu’il était encore il y a quelques années. A un point tel qu’aujourd’hui, on se demande si ce Nothing Was the Same sera à l’année 2013 ce que Tha Carter III fut à l’année 2008 : un monument désormais entré au panthéon des plus grands albums de rap de l’histoire.
En tout cas, Drake n’aura pas ménagé ses efforts pour nous le faire penser en amont de la sortie de ce troisième effort: c’est bien simple, le natif de Toronto a enquillé avec une régularité folle les titres imparables, annonçant la couleur d’un album dont on n’aura connu les détails que bien tard. « Started From The Bottom », « Hold On We’re going Home », « All Me », « The Motion » ou « Jodeci Freestyle ». Autant de titres démontrant avec un efficacité assez folle la capacité de Drake à être à l’aise sur tous les terrains de jeu du rap game, du banger conscient à la ballade R’n’B 2.0. A l’arrivée, seul les deux premières cités se retrouvent au tracklisting. Comme si Drake en avait tellement confiance en son talent et ses capacités qu’il a pu convaincre son label de délester un disque d’une belle poignée de tubes...
Il y a peut-être de cela, mais il y a surtout là-derrière un choix qui dénote une certaine intelligence. Car là où la majorité des grosses sorties estampillées rap US se ressemblent toutes dans leur format (qui n’en a pas au final, tellement ça part dans tous les sens), Nothing Was The Same s’offre cette cohérence si souvent torpillée par une liste de producteurs et d’invités kilométrique. En sacrifiant le tube sur l’autel de la cohésion, Drake opère un choix qui va probablement diviser. Notamment quand on écoute certains titres plus faiblards, incapables de renouer avec cette fusion hip hop / R&B portée à son paroxysme sur Take Care – un disque dont la perfection est encore amplifiée à l’écoute de Nothing Was The Same. Et pour le coup, même si le sample du « C.R.E.A.M. » du Wu-Tang sur « Pound Cake/Paris Morton Music 2 » nous fout des frissons, même si Sampha s’impose comme un faire-valoir en or massif, même si le travail de Noah "40" Shebib (sans qui Drake ne serait pas le poids lourd incontournable qu’il est en 2013) force le respect sur pas mal de titres, on en revient à cette sacrosainte unité globale qui transcende la somme des individualités.
Après, on ne peut s’empêcher de trouver Nothing Was The Same un tantinet moins bon que son grand frère. Par ailleurs, Drake reste Drake et ceux qui étaient déjà exaspérés par son côté « gendre idéal qui n’a même pas l’air bien méchant quand il essaie de se la jouer badass » risquent de détester le personnage encore plus après une seule écoute seulement de ce troisième disque. Il y donne l’impression que des gentils comme lui, Rick Ross en bouffe environ 10 au petit déj'. Enfin, on ne saurait que trop vous conseiller de vous ruer sur la version deluxe de l’album, celle-ci contenant, outre le chouette « Come Thru », le crève-cœur « The Motion » et l’immense « All Me », dont l’absence au tracklisting final restera l’un des plus grands mystères de 2013, et surtout un titre qui consacre ce bon vieux Big Sean comme l’un des grands perdants de l'année: après un « Control » qui a foutu un foin pas possible grâce à quelques vers bien sentis de Kendrick Lamar mais qui n’aura pu être intégré à son disque pour cause de sample non clearé, le voilà impeccable sur l’un des singles de l’année, mais dont la réléguation en queue d’une édition limitée condamne de facto à un statut de tube maudit. George Costanza likes this.