Kiss Land
The Weeknd
C’est couru d’avance: dans la presse mainstream, il ne manquera pas d’articles dithyrambiques pour se turlupiner sur le phénomène The Weeknd. Comme si l’on découvrait un mec qui a quand même derrière lui trois mixtapes essentielles qui ont participé à l’émergence d’un R&B qui a pris le parti de rentrer de plein pied dans le 21ème siècle, renvoyant à leurs chers classiques pas mal de vieilles gloires à bout de souffle. House of Balloons, Thursday et Echoes of Silence. Trois disques pour autant de secousses telluriques qui ont redonné ses lettres de noblesse à un genre qui traînait derrière lui un paquet de casseroles. Trois projets étiquetés ‘mixtape’, distribués gratuitement, sortis à quelques mois d’intervalle et qui ont généré la domination complètement inattendue d’un artiste complet. Mais voilà, pour la blogosphère, qui suit avidement The Weeknd depuis son émergence, ce premier véritable album studio pour une major a un goût énorme de ‘déjà-entendu’.
Parce que Kiss Land ne peut finalement s’accompagner que d’un seul constat: The Weeknd joue avec son habituelle délicatesse la carte de la continuité, comme l’avaient d’ailleurs laissé pensé les premiers extraits. Comme si Abel Tesfaye était un vieil ami dont on peut prédire les moindres faits et gestes. Alors forcément, il est vain de revenir dans le détail sur ce qui fait le succès du projet: ces claviers froids, ce chant d’une incroyable sensualité, ces comparaisons inévitables avec Michael Jackson, ces samples ultra-référencés (Beach House ou Siouxsie and The Banshees) ou un certain amour de la francophonie (les paroles du refrain de « Laisse tomber les filles » de France Gall sur « Montréal »). Avec Kiss Land, c'est assez simple: il n’y a plus qu’à se concentrer sur la qualité du songwriting. Et pour cette quatrième réalisation, celui-ci est tout à fait respectable, sans atteindre des sommets – à moins qu’une certaine lassitude se soit déjà installée dans nos oreilles habituées aux mutations incessantes des musiques urbaines.
Car à l’arrivée, c’est probablement là que se situe tout le paradoxe The Weeknd: malgré quelques grands moments (l'ambitieux morceau-titre, le groove moite de « Wanderlust » ou un « Live For » tout en clair-obscur rehaussé de la présence de Drake) on aimerait s’emballer pour cet album, chier de la dythirambe sur dix feuillets, en vain. Pour que c’eut été le cas, il aurait fallu que la Canadien nous ponde un classique indémodable et définitif. Pas de bol, The Weeknd nous a pondu un album magnifiquement produit, superbement écrit, mais qui sonne également comme la glorification d’une recette qui nous avait pourtant fait sérieusement halluciner il y a deux ans. A moins que ce ne soit nous qui soyons une grosse bande de branleurs blasés ? C'est fort possible.