Key To the Kuffs
JJ DOOM
La difficulté de chroniquer ce disque ne tient pas à ses caractéristiques musicales mais au fait que lorsque DOOM reforme un duo, cette fois avec Jneirol Jarel, plane inévitablement le fantôme de Madvillain. Pour beaucoup, l'album Madvillainy produit avec Madlib est l’une des perles du rap indé des années 2000. Ce disque ultra-novateur, avec ses samples psychés tirés de l'univers des comics et le flow affuté et à contretemps de MF Doom, avait dès sa sortie marqué l'apogée de la carrière du duo.
Mais à toute apogée succèdent des lendemains qui déchantent. Madlib a sorti un nombre incalculable de tapes et de side projects alternant le très bon et le passable. De son côté, MF Doom devenu DOOM, a connu des problèmes personnels et a lui aussi sorti une série de tapes plus ou moins recommandables et le très médiocre Born Like This, sorti en 2009. Pour couronner le tout arrive en 2010 une affaire de faux concerts, les fameux Doombots. On est en 2012 et l'album Key To The Kuffs pointe le bout de son nez. Pour tout vous dire on ne croit pas beaucoup à un retour gagnant. Mais c’était sans compter sur Jneiro Jarel à la prod et un DOOM qui revient jouer le Supervillain pour anéantir la concurrence.
L'intro, avec ses samples à la sauce comics, nous renvoie immédiatement à Madvillainy. Mine de rien ça met tout de suite en confiance pour attaquer la suite. Et quelle suite ! Le morceau "Gov'nor" est une énorme claque qui nous fait vite regretter les doutes qu'on a pu émettre sur l'ancienne moitié de KMD. DOOM vient retourner une boucle simple mais efficace avec son flow reconnaissable entre mille et un charisme indéniable. Les bases sont posées et la Madeleine de Doom dégustée. La mise en bouche engloutie, Jneiro Jarel nous pond ensuite un ensemble de beats parfaitement adaptés aux talents de l'homme masqué. Les ambiances changent invariablement d'un morceau à l'autre sans jamais entamer la cohérence de l'ensemble. L'album se déroule sans accroc, avec un nombre incalculable d’anfractuosités qui lui confèrent une réelle épaisseur. On peut citer entre autres, le son spatial de "Bite The Tong" ou le beat suffocant de "Borin Convo" qui font des merveilles associés au flow de DOOM. "Winter Blues" permet d’entrevoir le côté fleur bleue du rappeur, tandis que l'agressivité de "Retarded Fren" vient remettre DOOM à sa place, soit au-dessus de la mêlée. En guise de friandises, Jneiro Jarel prend le temps de nous lâcher des plages instrumentales qui permettent à l'auditeur de reprendre son souffle au cours des 42 minutes de cette galette.
On ne vous le cache pas cet album est une véritable réussite, tout d'abord parce que Key To The Kuffs évite l'écueil du "Madvillainy-bis" ou du rap passéiste. Autre piège intelligemment évité : Key To The Kuffs ne donne pas dans le beat crunko-dubstep ou survitaminé pour « être dans le coup ». Il fait mieux, en se plaçant au niveau des meilleures productions du rappeur masqué. L'album demandera sûrement un peu de patience à l'auditeur pour se l’approprier pleinement. Mais une fois bien digéré, Key To The Kuffs devrait trouver sa place entre Operations Doomsday et Madvillainy .Rien que ça.