Gute Luft
Thomas Fehlmann
Le retour de Thomas Fehlmann aux affaires devrait renvoyer pas mal de jeunes producteurs de musiques électroniques à leurs études. En effet, actif depuis trente longues années, Thomas a côtoyé les plus grands : collaborateur de The Orb; producteur pour les légendes de Detroit que sont Eddie Fowlkes, Juan Atkinson et Blake Baxter et membre depuis 2001 de la célèbre écurie Kompakt. Avide de nouveaux projets, c'est une bande originale de documentaire (« 24H Berlin », documentaire en temps réel se déroulant durant tout une journée au cœur de la capitale allemande) qui a cette fois convaincu le Suisse de sortir de sa caverne.
Mais chose étonnante, seule une partie infinitésimale de sa nouvelle œuvre a été sélectionnée pour illustrer ledit documentaire, l'occasion idéale pour Thomas Fehlmann de détourner ce premier projet en nouvel album, faisant donc d'une pierre deux coups. Mais autant le dire tout de suite, il s'agit ici d'un projet un peu casse-gueule sur papier, pour deux raisons déterminantes : premièrement, Gute Luft contient une série de boucles provenant de sa discographie antérieure, ce qui n'est pas pour plaire aux fans les plus hardcore du producteur; et deuxièmement, la bande originale est un format capricieux et particulièrement instable, demandant aux moins talentueux de faire un choix entre le « tout cinématographique » et le fourre-tout incohérent.
Mais heureusement pour nous, ces deux écueils sont évités de justesse : Thomas Fehlmann justifie ses anciens travaux par une série d'edits qui rendent les pistes méconnaissables et se joue facilement du format B.O. sur lequel il est forcé d'évoluer en conciliant singularité et esprit d'ensemble. Pour le reste, on a dans ce Gute Luft tout ce qui a construit la musique du sieur Fehlmann tout au long de ces années : plages ambient dignes des compilations Pop Ambient, kicks tech-house tout en sobriété, ambiances dub-techno à la manière des cracks de Detroit et attitudes légèrement synth-pop made in Kraftwerk (mais discrètes alors). Alors par moments on se régale (« Speeding », « Soft Park », « Falling into Your Eyes », « Fluss Im Wasser », « Berliner Luftikus »), parfois on se détourne un peu sans s'en rendre compte, et plus rarement on se fait légèrement chier. Car si on aime quand la musique de Thomas Fehlmann se fait immersive (merci les claviers glaciaux et les ambiances d'éther), on se retrouve bien souvent à patauger au milieu d'une farandole de saynètes bien souvent téléphonées, sauvées par le talent qu'à le Suisse pour récupérer la sauce en affinant sa production au maximum. La longueur du disque – 70 minutes au compteur - n'arrangeant rien.
Au final, on se trouve en face d'un album étrange, magnifique de ses aspects plastiques mais dubitatif quant à certaines poses parfois trop académiques. A l'heure où la dub-techno fait vendre plus que de raison (merci aux labels Echochord ou Modern Love qui balancent à tour de bras leurs voyages deep/dub-techno), Thomas Fehlmann est loin de faire tache dans la grande famille des poètes de l' « immersion à tout prix » et rajoute ici une nouvelle pierre à son édifice – qui commence à devenir sacrément imposant. On est partagés, mais on finit par craquer : l'honneur est plus que sauf.