A Life Is Everywhere
Cindytalk
C’est fou de voir comme la patte musicale de Gordon Sharp s’est développée en plus de trente années de carrière. Il y a d’abord eu The Freeze, qui a vite cédé sa place à Cindytalk au début de l’année 1982. Un de ces groupes d’avant-rock mystiques et totalement libre comme cette époque savait en fabriquer (Throbbing Gristle et Coil en tête) qui perpétue encore aujourd’hui le souvenir d’une musique impossible à maîtriser, prolifique, et fuyante. Le post-punk industriel de la troupe menée par Gordon Sharp est aujourd’hui une histoire d’archiviste, une vieille machine que seul les amateurs se plaisent encore à déterrer pour en vanter les mérites underground. Surtout que Cindytalk c’est également un silence musical de quinze années, avant qu’on ne redécouvre la formation écossaise (devenu l’histoire solo de Gordon Sharp) pour ce qui deviendra le cœur véritable de son histoire.
Encore accro aux guitares hier, c’est aujourd’hui derrière un laptop qu’on retrouve le transgenre des Highlands. Il va falloir s’y faire, Cindytalk est devenu une machine à improviser sur du digital pur. Le résultat, c’est une première trilogie commencée en 2009 sur l’impeccable Editions Mego – souvenez-vous de l’incroyable The Crackle Of My Soul qui l’ouvrait en fanfare – et maintenant ce A Life Is Everywhere pas loin de la crise cardiaque. Parce que ce disque est tout simplement à tomber de sa chaise, à plusieurs niveaux. On vous effraierait à directement vous introduire à ce quatrième effort sur Mego en vous parlant simplement de digital noise (même si on nage toujours dans un grand bain qui lui ressemble). On commencera par dire que de toute sa carrière (presque quarante ans, tout de même), Gordon Sharp n’a jamais été aussi précis, entrouvert et virulent. Une claque si grande qu’on a du mal à croire que l’Ecossais est arrivé à ce niveau sans reprendre en route un parcours académique voire universitaire en matière de composition électro-acoustique.
Les souffles sont brûlants à vous arracher le cœur et les poussées digitales aiguisées comme des Gillette Mach 3 sortis tout droit de leur emballage. Mais derrière cette précision demeure l’instinct, celui qui amène la narration dans des montées de claviers à pleurer, dans des crescendos qui te grillent autant de neurones que de poils sur les bras (va jeter une oreille sur « On A Pure Plane »). Une sorte d’hybride parfait entre la série Xerrox d’Alva Noto, le travail de Peter Rehberg, les assauts de Kevin Drumm et la triplette Fenn O’Berg. Un disque qui ne pouvait sortir que sur Editions Mego, et qui s’inscrit dans son catalogue comme un des grands classiques de l’improvisation sur laptop. Si ce n’était pas encore assez clair, on tient là un des disques électroniques de l’année.