Richard Pinhas
Richard Pinhas n'est pas connu de tous, mais si vous l'avez croisé une fois, sur un forum, un livre ou prononcé par quelque bible musicale, vous ne pouvez l'oublier. C'est encore plus vrai pour ceux qui l'ont écouté au moins quelques minutes. Figure culte de la scène underground mondiale, nous pouvons crier cocorico à celui qui depuis quarante ans oeuvre pour la "belle" musique expérimentale en France. Grand précurseur de l'électronique, des musiques noise et ambient, Pinhas est notre Robert Fripp à nous, et pourquoi pas notre Brian Eno. Avec cette rencontre, nous espérons ouvrir les portes de son univers à quelques lecteurs en balade. Qui ne manqueront pas de souligner la bouleversante authenticité du personnage.
Goûte Mes Disques : Richard, est-ce que tu pourrais tout d'abord te présenter à nous en quelques phrases ?
Richard Pinhas : Je m'appelle Richard, mesure 1m82, yeux bleus. Passions: musique, philo, littérature, la "femme". Je fais de la musique en "professionnel" depuis 44 ans. Une quarantaine d'albums ou CDs, des collaborations, j'ai écrit quelques livres et articles. En tournée surtout : Usa, Japon et Europe. J'habite Paris dans le sixième... Politiquement : libertaire. Ne vote pas, mais joue de la guitare tous les jours.
GMD : Quand on regarde ton parcours de près, on se rend compte que ton intérêt pour la littérature et la philosophie ont toujours contaminé ta musique. Je pense d'abord aux choses les plus évidentes : un groupe – Heldon – dont le nom est tiré de Norman Spinrad, un album intitulé l'Éthique en référence à Spinoza, des enregistrements avec Gilles Deleuze ou Maurice Dantec... Pourrais-tu nous en dire plus sur ta façon d'articuler ces deux univers ?
RP : Ce sont les deux univers dans et par lesquels je vis. Leur structure de composition, leurs concepts sont les mêmes : le matériau, la durée, la répétition etc. Ces domaines sont synthétiquement liés. Depuis plus de trente ans, pour moi il n'y a pas de philosophie sans musique ni de musique sans philosophie. Ils sont au même niveau sur mon plan d'immanence et dans mon process de création... Tu avais juste oublié Nietzsche qui a une grande importance pour moi. Sans parler de romanciers, bien évidemment. Musique et littérature sont UNIS ! Les deux constituent mon équilibre, ou bien, lorsque ça ne va pas, mon déséquilibre.
GMD : Un travail sur "le matériau, la durée, la répétition", c'est donc comme cela que tu définirais ta musique ?
RP : Ça, plus le feeling et le process ! Il s'agit de fabriquer un plan de composition sonore. Donner à entendre le Silence.
GMD : Revenons à ta carrière : plus de quarante ans de musique, jamais eu de lassitude ?
RP : Si, bien sûr, et même un arrêt total de l'instrument - ce qui est grave - de 1983 environ à 1989... Ce qui est étonnant, c'est surtout pourquoi ça a repris, c'est ça le miracle... Recommencer à jouer... Autrement, renouer les contacts, avoir en même temps des propositions de maisons de disques européennes et américaines, puis se re-brancher, et au bout de trois ans, vers 1992 être totalement reconnecté alors que pendant six ans je n'ai fait que de la montagne et de la philosophie... Après je n'ai plus arrêté, même si cette année j'ai l'impression de n'avoir RIEN crée, d'avoir été stérile. Il y a eu quelques concerts, tous les jours au moins 2 heures de guitares, et la sortie de l'album avec Merzbow : Keio Line sur le label US Cuneiform Records. Mais bon, ce sont là des petits trous d'air, rapport à cet arrêt total, y compris de la pratique instrumentale durant environ six années, sans doute dûs à ma psychose maniaco-dépressive... J'étais resté bloqué sur le pôle "dépressif" de ma bi-polarité. Le principal est que ce qu'il me reste à vivre soit consacré à la "création", au process du Plan de Composition Sonore. J'y tiens ! c'est mon coté Deleuzo-spinoziste...
GMD : On voit bien dans ton discours à quel point la musique est vitale pour toi — tu sembles la transpirer. En écoutant ce que tu fais on a la même impression : tu habites ta musique et inversement. Comment composes-tu ? Quelle place prend là-dedans l'improvisation et, si j'ose dire, l'instinct ?
RP : Ben oui, sans la musique je serais sans doute mort aujourd'hui... Bof pas une très grosse perte ! Il y a des moments, longs, où je suis dans la musique et je soupire de pouvoir être dedans. A d'autres moments, longs eux aussi, je suis en dehors et toutes mes forces sont tendues pour retrouver précisément cette musique. Pour composer j'ai des idées, je me mets à travailler et j'essaie d'avancer... En général ce sont plutôt des concepts albums où les morceaux sont très reliés les uns aux autres ; parfois ce sont des choses très précises, la tessiture et la couleur des sons, leur grain; parfois c'est la rythmique etc. La guitare... L'électronique. Mais il y a aussi les canevas, comme sur scène, le plus souvent, c'est-à-dire des structures musicales au sein desquelles je peux improviser totalement. Une sorte de cadre dans lequel se libère l'improvisation!
GMD : Tes projets, désirs pour l'avenir, tu peux nous en dire quelques mots pour conclure ?
RP : Après six mois de relative mauvaise santé, la retrouver. Puis finir ce satané album auxquels participent Wolf Eyes, Merzbow, Paganotti, Schmidt etc. Il ne manque que les guitares, les miennes, et j'ai bloqué cet hiver. Ensuite un projet de DVD /CD avec Vj Milosh va être enregistré en septembre. qui commencera à Je vais également faire quelques guitares pour un groupe norvégien. Un projet est en cours avec l'Américain Barry Cleveland (si ça aboutit)... Mais j'aimerais par-dessus tout aboutir à une forme de musique très différente, peut-être dans deux ans. Sinon, j'aimerais et vais faire une longue tournée USA, probablement en 2010, si mon disque actuel arrive à se finir. Et peut être un concert à La Cigale cet hiver. Au rayon des choses imprévues: rejouer à Tokyo et jouer en Chine me ferait grand plaisir. Voilà pour les quelques trois années à venir. Et on ajoutera à tout cela le projet d'un livre, si j'y arrive, sur les années 70.