Cult Of Luna
A l'occasion de la sortie de The Raging River, nouvel EP de la formation suédoise Cult Of Luna, nous avons pu nous entretenir avec son leader durant une grosse demi-heure. C'est donc avec un Johannes Perssons confiné mais scandinavement serein que nous avons pu échanger à propos de ce nouveau projet, du label qu'il vient de monter mais aussi des accomplissements d'une formation qui, en presque 25 ans et une discographie sans faute, est devenu une référence absolue du genre.
Salut Johannes ! Comment ça se passe pour toi en ce moment?
La routine ! Je m’entraine, je travaille beaucoup, je suis à la maison, je m’occupe des enfants. C’est un peu horrible de présenter cela comme ça, mais si tu mets tous les décès dû à la maladie de côté, j'apprécie cette période et le fait de pouvoir rester chez moi. Je peux me concentrer sur des choses sans avoir à être stressé par les relations sociales. Je prends du plaisir à être à la maison et passer du temps avec ma famille. Pour être tout à fait honnête, j’aime faire des concerts et jouer dans des festivals mais on a pu avoir un été entier de libre et c’était plutôt cool. Pour moi personnellement, ce n’est pas une période difficile. Je me concentre juste sur moi et ma famille.
Parlons de The Raging River, votre petit dernier ! Tu peux m’en dire plus sur ces morceaux, sur le timing et la manière dont ceux-ci ont été composés?
Quand on travaillait sur A Dawn To Fear, on avait énormément de morceaux. Et parfois, quand tu commences à enregistrer, même si tu as l’impression que les morceaux sont bons, tu te rends vite compte que certains d’entre eux nécessitent plus de travail pour qu’ils puissent atteindre leur plein potentiel. Donc on a quitté le studio avec un album mais aussi d’autres morceaux sur lesquels on savait qu’il fallait revenir. Et avec la pandémie et tout ce temps libre, on s’est dit que c’était l’occasion de les retravailler. On avait de nouvelles compositions en plus de cela donc on a tout assemblé ensemble et voilà le résultat.
Pandémie ou pas, c’était écrit que vous reviendriez sur ces morceaux un jour ou l’autre…
Tu ne sais jamais vraiment mais oui, on avait le temps donc on l’a fait !
Il y a toujours un cadre précis et une certaine forme de narration dans vos albums. Vous aviez déjà sorti un EP compagnon à l’un de vos disques (Vertikal II en 2013, ndlr) mais celui-ci ne semble pas suivre la même logique. Tu le places où dans votre discographie? Tu as mentionné l’idée d’un pont entre deux albums...
Je reviens sur ce que je disais à l’instant à propos de ces morceaux. On a eu une sorte d’explosion créative au moment de composer ce qui deviendrait finalement A Dawn To Fear. D’habitude quand on écrit un disque, on a toujours un début et une fin de cycle. Quand on a fait le tour de la thématique qu’on veut aborder sur chaque album, on passe vite à autre chose. Mais dans ce cas-ci, on a juste continué à écrire et composer. On a voulu suivre notre intuition. Quand je parle de pont, c’est parce que certains morceaux sont anciens, d’autres sont nouveaux. On n’était pas ici dans une fin de cycle, c’était la même impulsion créative en fait.
Rentrons dans le vif du sujet. On retrouve 5 morceaux sur cet EP et ce qui m’a frappé, un peu comme sur votre dernier album d’ailleurs, c’est tout le travail sur les petits détails et les arrangements. Tu as aussi l’impression que c’est quelque chose sur lequel vous avez vraiment mis l’emphase ces derniers temps?
(Il réfléchit longuement) Je ne pense pas que ce soit intentionnel. Ce qui s’est passé en revanche durant les sessions d’enregistrement de notre dernier album, et c’était la première fois depuis The Beyond en 2003 je pense, c’est que l'on a travaillé tous ensemble dans le même studio pendant 10 jours. Autrefois, on étirait le processus pendant une très longue période de temps. Cette fois-ci, on était ensemble, on mangeait, on buvait, on s'entraînait ensemble et on a ainsi pu échanger nos idées bien plus directement. Donc ce que tu dis est peut-être une conséquence de cette manière de travailler collectivement. Pour être honnête, je n’en suis pas totalement sûr. De mon point de vue, je n’ai pas l’impression que l’on ait changé, ces détails sont peut-être juste un peu plus visibles maintenant.
Difficile aussi de ne pas mentionner cette contribution de Mark Lanegan sur un titre qui ne ressemble à presque aucun autre dans votre discographie. Comment cette connexion s'est-elle opérée?
Tu es sûrement au courant de cette histoire mais on avait écrit “And With Her Came The Birds” (présent sur Somewhere Along The Highway en 2006) et le titre de travail de ce morceau était “The Lanegan Song”. A cette époque, on était jeunes, on n'avait aucune confiance en nous et c’était juste un fantasme de l’avoir sur le morceau. C’était impossible pour nous que ça se produise. Mais j’imagine qu’en 15 ans, on a pris plus de confiance et l’horizon des possibilités s’est élargi ! C'est bizarre quand j’y repense...Je discutais avec Kristian (Karlsson, qui s’occupe du clavier et des samples au sein du groupe, ndlr) et en parlant de ce titre, on s’est dit que c’était le bon moment. J’ai envoyé un message à notre manager pour savoir s’il connaissait quelqu’un qui représentait Mark et il s’avère que c’était le cas. Pour nous, c’était presque comme une blague, on ne pensait pas que cela se concrétiserait. Et après de multiples échanges, il a accepté et posé ses parties vocales le jour même où il a reçu le morceau. Quand je l’ai entendu, je me suis dit que ce mec pouvait vraiment faire tout ce qu’il voulait avec sa voix. C’est un morceau magnifique et ses paroles me parlent beaucoup également. J’en suis très heureux.
Ce disque est aussi la toute première sortie sur votre propre label, Red Creek Recordings. Pourquoi maintenant et quelle était la motivation derrière ce projet?
Nous avions déjà sorti deux 7” et un livre nous même dans le passé. Notre background dans le punk hardcore est très ancré dans le DIY mais on n’avait pas vraiment eu les opportunités auparavant avec nos deals avec les labels et le reste. Ce qui a surtout changé, c’est le temps supplémentaire qu’on a pu libérer durant la pandémie. Parce que tout cela prend un temps de dingue mais aussi beaucoup d’argent pour créer une société, s’assurer de la distribution, gérer un webshop, etc. C’est principalement moi et notre manager qui gérons cela et on n’aurait pas pu le faire sans tout ce temps libre. C’est un risque à prendre puisque tu ne sais jamais comment les choses vont se dérouler. On a vraiment de la chance de pouvoir sortir ce disque avec l’argent qu’on a généré au préalable et de pouvoir le réinvestir sur d’autres groupes…
C’était justement ma question suivante ! Qu’est-il prévu à l’avenir avec ce label? Vous avez l’intention de mettre en avant vos projets uniquement ou d’autres jeunes groupes en avant?
On va probablement sortir des projets affiliés à Cult Of Luna mais dès qu’on pourra se permettre de perdre de l’argent, on va sûrement essayer de signer d’autres artistes dont on pense qu’ils méritent de l’attention. On verra bien mais on a déjà quelques sorties prévues sur le label cette année.
Cela va changer quoi concrètement dans votre manière de travailler avec vos partenaires comme Metal Blade Records ou Season Of Mist par exemple?
Season Of Mist nous sert de distributeur mais notre relation se limite à cela. En ce qui concerne Metal Blade, rien n’a changé. Ils ont été suffisamment sympa pour nous laisser faire cela et je dois les en remercier. Ce n’est pas n’importe quelle maison de disques qui t’autoriserait à te lancer dans ce genre de projet. On leur en est très reconnaissants.
On parlait de Mark Lanegan tout à l’heure, vous avez aussi enregistré un disque entier avec Julie Christmas (Mariner en 2016). Y a-t-il d’autres artistes avec lesquels tu souhaiterais collaborer à l’avenir?
Non ! Enfin, ce n’est pas comme si j’avais une liste en tête. On ne sait jamais ce qui peut se présenter à nous à l’avenir et j’aime l’idée de travailler avec quelqu’un d’autre. Quand tu écris de la musique toi-même, tu sais exactement ou presque ce que tu veux atteindre. Mais avec un autre artiste, tu te rajoutes le facteur risque. Donc on verra. Je n’exclue pas l’idée de retravailler avec quelqu’un d’extérieur au groupe mais rien n’est prévu pour le moment. Il y a énormément d’artistes avec lesquels j’aurais du mal à dire non. Si c’est une personne que je respecte et admire en tant que musicien, pourquoi pas. Mais j’ai collaboré sur tellement de projets ces deux dernières années que je dois maintenant me concentrer sur les miens.
J’imagine que tu fais référence au travail accompli avec James Kent (Perturbator) dans le cadre du Roadburn Festival (Johannes était également censé être l’un des curateurs pour le festival hollandais qui a été annulé, ndlr). Tu en sais un peu plus sur ce qu’il va advenir de ces compositions et sur cette performance?
Nope, aucune idée. Tout ce que je sais, c’est que James et moi avons écrit des morceaux. Et c’est tout. D’autres personnes en savent sûrement plus que moi sur ce qui va en advenir. La musique est prête, on a juste besoin d’un festival pour la présenter maintenant (rires) ! On avait d’autres tournées non annoncées avec Cult Of Luna qui ont été annulées, on verra tout cela plus tard, quand ce sera possible.
Tu mentionnais votre deuxième album The Beyond tout à l’heure dont c’était justement le 18e anniversaire il y a quelques jours. Vous êtes un groupe depuis bientôt 23 ans maintenant. Quel regard portes-tu sur vos “accomplissements”, l’impact que vous avez eu et le chemin emprunté par Cult Of Luna ces dernières années?
(Il réfléchit longuement) C’est une bonne question et difficile d’y répondre ! J’ai conscience des choses que nous avons accomplies, que les gens apprécient, et dont je n’aurais pas forcément cru qu’elles étaient possibles. Ce n’est que récemment, il y a quelques années peut-être, que j’ai réalisé que nous avions atteint un certain statut. Et je ne l’avais pas vraiment vu venir. On n’a jamais été un groupe à succès, on n’a aucun album qui du jour au lendemain nous a fait changer de dimension d’un point de vue commercial. C’est vraiment venu graduellement. On a commencé par des toutes petites tournées dans des clubs et des squats pourris, on a traversé l’Europe dans un van pendant des années...Il y a deux ou trois ans, on jouait dans un festival devant une foule énorme et j’étais derrière la scène à contempler cela et je me suis fait la remarque: “When the fuck did this happen” ! Avec le genre de musique que l’on propose, je n’aurais jamais pu rêver me produire sur ce genre de scène un jour. Une chose que tu dois savoir, c’est que quand on joue en concert, je regarde le public avec les mêmes yeux et la même excitation que quand on jouait dans la ville voisine de la nôtre devant 25 personnes. Je ressens la même chose, je suis la même personne qui écrivait des morceaux à la guitare il y a 25 ans. Je ne pensais pas qu’on pourrait parcourir le monde, jouer dans autant d’endroits et rencontrer autant de personnes durant cette période. Je ne vais pas te mentir, parfois cela me met même mal à l’aise de prendre conscience de cet impact dont tu parles et d’être dans cette position. Avant tout, je suis un fan de musique et j’admire le travail de nombreux artistes. Et tout d’un coup, je me retrouve de l’autre côté et c’est une chose à laquelle je ne suis pas toujours habitué. Mais je crois que c’est une bonne chose de ne pas s’y habituer. C’est peut-être mon côté suédois qui parle là (rires) !
C’est tout pour moi. Merci pour ton temps !
Merci à toi pour ces questions, j’espère qu’on aura l’occasion de se croiser, avec un peu de chance l’été prochain !