Compton
Dr Dre
Au cinéma, personne n'aime les franchises qui s'obstinent à devenir des sagas. Pourtant, les années passent et on continue de se laisser berner par des suites aux teasers un peu trop engageants – en particulier lorsque ceux-ci jouent la carte de la nostalgie. L'industrie l'a évidemment bien compris, et rivalise d'inventivité pour continuer à nous abreuver. Cet été, entre un mauvais reboot des Quatre Fantastiques et un Terminator qui copinait avec Khaleesi, on a été servis. Une belle preuve qu'Hollywood a inventé ce qui, depuis une trentaine d'années, ressemble le plus au crime parfait. Pas bien surprenant donc que le rap veuille procéder de la sorte à son tour.
Et ici, on est bien forcés d'en placer une pour toi, le puriste de la West Coast: ton genre de prédilection est malmené entre les grands écarts discographiques de Snoop Dogg et les passages de tes standards à la moulinette ratchet de DJ Mustard. Et on aurait été bien mal à l'aise d'enfoncer le clou en t'annonçant ici que Dr Dre était sorti du coma pour nous sortir un reboot de son 2001. Pas de 2001 donc, mais bien de Good Kid, M.A.A.D City, sorti trois ans plus tôt. Après, pour en finir avec les analogies, on dira de Compton qu'il opère davantage dans les sphères bourrines chères à Michael Bay que dans celles plus cérébrales empruntées par un David Simon. En clair: la forme y est, le fond peut-être un peu moins.
Gros budget oblige, ce troisième album alternera donc entre trompettes de la victoire et pistes à tiroir, le tout habillé par ce qui ressemble à une réunion de MC's et chanteurs issus de l'entourage du Doc. Des moyens exorbitants donc (mais pas tant que ça pour un habitué du top Forbes) au service de seize titres à la bonne mesure des attentes placées. Et puisqu'il s'agit de probablement verrouiller sa discographie solo, rien n'est trop beau pour André Young. Pas même de mettre fin à l'arlésienne Detox ( disque "pas assez bon" pour boucler sa trilogie), assumer le ghostwriting, ressortir Xzibit des placards pour un rôle digne d'un Oscar, ou encore sortir son disque en plein mois d'août, quand l'électro-encéphalogramme des sorties rap est le plus plat.
Toujours autant à l'aise dans un siège de producteur exécutif qui se confond avec celui d'un réalisateur, jamais Dr. Dre n'a paru aussi esthète que sur ce disque. De fait, sa distribution atteint des sommets d’interprétation – à une apparition d'Eminem près – et sa narration tout en saccades n'en rend son disque que plus immersif. En dépit de quelques lourdeurs, on pense même que si Compton n'était pas un disque de rap, il aurait probablement été le meilleur blockbuster de cet été. Peut-être pas une raison suffisante pour le classer dans les classiques ultimes du Doc, mais bien assez pour en faire un disque solide qui, à l'instar de To Pimp A Butterfly, ne méritait certainement pas d'être boudé par son public moins de deux semaines après sa sortie. Monde de merde, comme dirait l'autre.