untitled unmastered
Kendrick Lamar
« Le constat d’urgence », ne cesse de proclamer Joey Starr quand il évoque la perspective du Supreme NTM. De notre côté, c’est en quelque sorte celle que l’on adopte quand un album de Kendrick Lamar tombe par miracle. Si K-Dot en avait teasé de mystérieuses bribes sur les plateaux de Stephen Colbert et Jimmy Fallon, ou encore sur la scène des Grammys, rien n’annonçait véritablement la venue du disque, et ce, malgré l’annonce d’une imminente sortie surprise par Top Dawg Entertainment. Une dynamique située littéralement à l’opposé d’un Kanye West dont l’ultime galette se voit enveloppé d’une pollution médiatique qui empêche tout rapport immédiat à l’œuvre, en s’inscrivant dans son parcours interprétatif — en bref, notre chronique a pris le recul nécessaire pour l’envisager dans sa totalité et devrait bientôt arriver dans nos colonnes.
Avec untitled unmastered, Kendrick Lamar lance donc un direct au foie, sans accorder un temps d’analyse ; il contraint à l’évaluer par le goût que laisse sa force de frappe. Néanmoins, il n’est pas pour autant si différent de The Life of Pablo. Tous deux débarquent dans le sillage d’un monstre opulent – respectivement To Pimp A Butterfly et Yeezus – pour s’en faire l’incarnation minimale. Dans leurs ombres, ils s’exercent alors avec pudeur, voire même avec retenue. Il ne s’agit plus de déchirer le ciel par des artifices dorés, mais bien de l’irradier. Les sonorités participent à cette course céleste, comme en témoigne notamment l’effacement des hurlements schizophréniques, ou des cuivres criards, derrière les ondes spectrales des infrabasses. Un dispositif en retrait qui porte globalement ces albums, avec force, malgré cette lourdeur lunaire et bien que ceux-ci soient moins touffus — moins cinglants. Il reste que The Life of Pablo poursuit une industrialisation que l’art de K-dot contourne, se voulant encore plus marginal et d’avantage tourné vers les places inoccupées par la musique.
Si To Pimp A Butterfly livrait de nombreux accents jazzy, untitled unmastered est parvenu à offrir une expression authentique et noble. Ses mouvements ne touchent plus à une cooptation de plusieurs genres, rangés les uns à la suite des autres ou convoqués ci et là au sein d’un même titre, ils forment un véritable syncrétisme dans une forme de « Jazz urbain » — un « swing from the hood », perdu depuis longtemps et pourtant atemporel, une fois récité. Les vocalises d’Anna Wise (untitled 03 ; 05), le touché de Robert Glasper (untitled 05), le chaloupé bossa de Cee Lo Green (untitled 06) sont absorbés par la nébuleuse, plutôt qu’ils ne l’accompagnent. Même le G-Funk de clôture ne décolle qu’à condition de traîner les 7 titres qui le précèdent.
Mais surtout, faire de chutes studio s’étalant d’une période proche de Good Kid, M.A.A.D. City (2013) à aujourd’hui, un projet aussi cohérent, relève d’une prouesse bien plus digne que l’éventuelle avant-garde dont pourrait se targuer le successeur de Yeezus. Dans ce sens, la logique des artwork se croise : les covers les plus épurées parent les disques les plus proches d’une réelle rupture. En ramenant dans sa sphère astrale les problématiques contemporaines, au rythme d’une musique filée des racines aux bourgeons futurs qu’elle cristallise, Kendrick Lamar proclame le couronnement de toute une culture, dont il offre et reconnait le superbe règne à l’art — au peuple.