Black Dollar
Rick Ross
Sur « Foreclosures », premier extrait explosif de la nouvelle mixtape de Rick Ross, l’équipe de production J.U.S.T.I.C.E League troque ses vieux disques de soul contre un sample de voix féminine dont les sanglots semblent se répéter à l’infini. Comme les regrets exprimés par le Boss sur le morceau en somme: « We spend it all, nothing for our children », tonne le Barry White de Carol City sur le refrain. Le ton de ce Black Dollar est donné : Ross, l’ex-importateur de cocaïne (Port Of Miami) devenu parrain de la mafia (Deeper Than Rap), devenu l’égal de Dieu (God Forgives, I Don’t), revient parmi les Hommes le temps d’une tape et témoigne de son voyage au sommet de l’Olympe.
Il y a définitivement quelque de chose de plus humble qu'à l'accoutumée dans la posture de Rozay sur ce nouvel opus. Le logo Maybach Music ne brille plus autant que par le passé : son lieutenant Meek Mill se prend le bec avec la starlette du R'n'B Drake, Gunplay et Stalley bricolent dans leur coin et Wale... Hmm... Passons... Quant à la carrière du patron, elle a pris l'eau de toutes parts ces dernières années. Reebok lui a claqué la porte au nez après un couplet un peu tendancieux sur le tube "U.N.E.N.O" et ses deux derniers LP (Mastermind et Hood Billionaire) se sont mal vendus - étonnant pour le premier cité qui était excellent, normal pour l'autre, complètement raté. Il semble donc logique qu'après tous ces remous, le bientôt quadragénaire ressente le besoin de se poser et de jeter un coup d'œil dans le rétroviseur.
L'un des temps forts de cette introspection est sans aucun doute le single « Icon », où il revient explicitement sur sa carrière : « I did it by myself/So it took me some times/No Dr. Dres/No Eminems/No Neptunes/No Timbalands ». Rick Ross, le plus grand acteur de l’histoire du rap, n’aura jamais sonné aussi honnête que durant les quatre minutes de ce morceau. Les vocalises élégantes du crooner Anthony Hamilton posent le décor d'une soirée de gala entre millionnaires. Et l'on peut presque voir le Bawse sur scène, en costume blanc, prononcer son discours d'adieu au game. "No more a don, a fuckin' icon!". Magnifique.
Cette volonté de sobriété se ressent également dans la bande-son concoctée par une équipe de producteurs éclectique (J.U.S.T.I.C.E League, D.Rich et Black Metaphor entre autres). Rick Ross a enfin compris qu’il n’était plus capable de lutter sur le terrain de la trap depuis que les Future, Young Thug et autre Migos ont dynamité le genre. Chaque fois qu’il s’y est essayé ces deux dernières années, il sonnait incroyablement usé et dépassé. Du coup, sur Black Dollar , il revient à ses fondamentaux : une cigar music gorgée de soul et de funk. Le genre de truc qui s'écoute davantage en débouchant un grand cru qu'en zonant dans les bas-fonds du Dade County.
Sur une grande partie du projet, la magie opère. « Geechi Liberache » et sa soul synthétique dégoulinante échappée des années 80, l'électro-funk enlevée de « The World’s Finest », « Foreclosures » et ses chœurs religieux... Tous ces morceaux tapent dans le mille et rappellent les meilleurs moments de la discographie de Rick Ross, sans pour autant sonner (trop) déjà-vu. Il y endosse tour à tour les costumes qu'on lui connaît : entertainer endimanché à la Frank Sinatra, énergique MC new-yorkais ou Grand Moghol paranoïaque. Et on y croit à chaque fois. Il faut dire que si Rick Ross n'a jamais été le meilleur rappeur de l'histoire, sa voix fait vraiment tout passer. Il n'y a qu'à l'écouter décliner « the money and the power » sur tous les tons pendant deux longues minutes sur le morceau « Money & Powder » pour comprendre l'efficacité du timbre de l'ogre de Miami.
Même quand l’interprète de « B.M.F » se rapproche des sonorités trap music qui ont fait une partie de sa renommée, cela ressemble davantage à un retour aux racines qu'aux dernières productions de Mike Will ou Metro Boomin. Sur « Money & Powder », justement, il renoue avec cette habitude de dropper ses fins de phrases avec une autre piste comme à la grande époque de « Hustlin’ ». Un peu plus loin, « Turn Ya Back » convoque le fantôme de Drumma Boy avec ses sirènes stridentes et l’apparition d'un Gucci Mane en grande forme. Quant à l’instru de « Knights Of The Templars », elle n’aurait pas dépareillé sur The Inspiration de Young Jeezy, sorti en 2006.
Tout cela étant dit, on se doit de préciser que la tape est un peu longuette et pas dénuée de fillers. On a déjà entendu cent crossover semi-ragga tels que « Drive a nigga crazy » sur les projets du barbu de M-I-yayo. Future, l'homme de l'année, est mal utilisé sur le mollasson « Take Advantage » et « Bel Air » est sans intérêt. Pour autant, rien ne perturbe vraiment l’écoute et même les morceaux plus anecdotiques de la fin du projet, comme « Beautiful Lie » avec Wale et « She Wanna Fuck » avec August Alsina, sont plutôt bien foutus et sympathiques.
Alors ne boudons pas notre plaisir. Une tape du Floridien qui contient 5-6 très bons morceaux et qui donne une idée de ce que pourrait devenir sa musique maintenant qu’il n’est plus au sommet de son art ? On aurait signé pour moins que ça ! Quelque part, ce Black Dollar vient remplir la promesse que n'avait pas su tenir Mastermind, à savoir un vrai retour du Rick Ross de Deeper than rap. Alors oui, après presque dix ans de carrière au sommet, on lui décerne sans hésiter ce statut d'icône qu'il revendique tout au long du projet. Une putain d'icône.