Meet the Juggalos
Franchement, on ne sait trop par où commencer ce papier. On voulait en faire une petite news, ce sera finalement un bon gros dossier. Parce que de gros dossier, il en est question avec Insane Clown Posse et les Juggalos. De fait, le petit documentaire (23 minutes) dont on va vous parler est tellement énorme qu’on aimerait que vous vous lanciez dans son visionnage sans plus tarder. Mais voilà, l’approche retenue par son réalisateur (se concentrer sur les fans sans jamais montrer le groupe) est telle qu’une petite contextualisation s’impose. Bref, si Insane Clown Posse, les Juggalos et le Gathering n’ont plus aucun secret pour vous, passez directement à la vidéo en bas de l’article. Les autres, ouvrez grand vos yeux.
Si vous ne connaissez pas Insane Clown Posse, sachez que l’on parle d’un duo de Détroit qui pèse quand même un bon million de fans sur Facebook. Leur créneau ? Un rap hardcore de piètre facture – ils appellent ça du horrorcore. Un truc que les studios Disney semblent avoir pourtant trouvé suffisamment bankable puisqu’en 1995, le label Hollywood Records (propriété de Disney donc) s’est mis en tête de sortir The Great Milenko, à ce jour l’un des albums les plus populaires du groupe, en rachetant pour la coquette somme de 1 million de dollars le contrat qui liait ICP à la major BMG. Mais le Q.I. de Violent J et Shaggy 2 Dope n’atteignant pas vraiment des sommets, l’enregistrement a été un peu laborieux, voire carrément foireux. En même temps, quand tes disques parlent de mort, de suicide ou de meurtre, tu dois bien te dire que les mecs qui se sont fait un paquet de thunes avec des trucs à la Pinocchio ou Bambi vont la trouver saumâtre. Pour faire court, la sortie de The Great Milenko a été un gros fiasco – notamment parce que la Southern Baptist Convention, très puissante aux États-Unis, a exercé une telle pression sur Disney que quelques heures seulement après sa sortie, The Great Milenko a été purement et simplement retiré des rayons alors qu’il se vendait comme des petits pains. C’est Island, flairant le bon coup, qui a repris le contrat et sorti le disque : certifié platine, plus d’un million d’exemplaires écoulés. Logique avec des « tubes » comme « Hokus Pokus ».
La musique donc. Vous l’avez rapidement compris: les beats sont à peu près aussi élégants qu’un discours de Christine Boutin, les paroles parlent de trucs bien glauques sans le moindre humour (noir), l’ambiance globale est clownesque et les mecs enchaînent les albums avec une régularité effrayante – douze à ce jour. Une sorte de sweatshop musical qui donne instantanément ses lettres de noblesse aux acronymes WTF et NSFW. Et les concerts ne sont pas en reste: tout le monde est maquillé et Violent J and Shaggy 2 Dope passent le plus clair de leur temps à asperger le public de centaines de litre Faygo, un soda populaire dans leur ville natale. J'ai personnellement testé ça à Londres en 1997 dans un moment d'égarement et déjà à l’époque, j'avais rapidement compris qu’il fallait laisser ses neurones au vestiaire pour profiter un tant soit peu du grand barnum.
Mais ICP, c’est une putain de petite entreprise qui ne connaît pas la crise. Il faut dire que les mecs savent y faire pour faire parler d’eux. À commencer par se payer une bonne grosse embrouille avec Eminem (le mec que même The Game il n’ose pas s’embrouiller avec). Puis ils signent des sous-ICP à tour de bras sur leur label (vous imaginez un peu la qualité du produit fini), vont de temps en temps s’amuser sur les rings de catch, quand ils ne font pas un petit tour par la case tribunal. Ici, on appelle juste ça une belle bande de bras cassés. Mais voilà, vous savez ce qu’on dit des États-Unis : que c’est un beau pays mais que c’est vraiment dommage qu’il soit peuplé d’Américains. Évidemment, cette expression ne fait pas référence aux gens à peu près civilisés qui peuplent les côtes du pays, mais bien la bande de fonds de capote qui ont envahi ces États plus grands que n’importe quel pays d’Europe, mais dont tout le monde se fout ici – oui, le Dakota du Sud, c’est de toi qu’on parle. Des rednecks qui ne voient pas plus loin que le bout de leur trou paumé et qui vivent la good life par procuration grâce à Internet. Parce que bon, pour vous situer un peu le niveau de base du fan lambda d’ICP, on parle quand même d’une personne qui trouve complètement cools les paroles d’un titre comme « Miracles ». Et pour le coup on a cette image en tête.
C’est une évidence : le crew ne serait rien sans ses Juggalos et ses Juggalettes – le nom donné aux fans d’ICP et du label Psychopatic Records donc. C’est eux qui permettent encore aujourd’hui à la « légende » ICP d’exister et à ses deux principaux protagonistes de s’en foutre plein les fouilles. Notamment lors du « Gathering » annuel. Un événement où le groupe fait sa publicité, mais pense également à inviter des artistes qui n’appartiennent pas à la constellation Psychopatic Records – Vanilla Ice, Afroman, Coolio, que du rêve plein tes petits yeux. Et puis quand on sait qu’en 2011 c’est Charlie Sheen qui a joué les maîtres de cérémonie lors d’une des soirées, on comprend vite que cet événement qui dépasse le cadre strict de la réunion musicale est un peu the place to be pour pas mal de gens qui ont un peu de mal à trouver leur place dans la société, carburent à la défonce et aiment hurler « whoop whoop » à longueur de journée (vous allez vite comprendre).
Évidemment, du haut de notre tour de mauvaise foi, on se la pète, petits couillons élitistes que nous sommes. Aussi, on se doit d’être un minimum honnêtes et de reconnaître que la fibre communautaire des Juggalos fait particulièrement plaisir à voir à une époque où l’on nous vend n’importe quel festival d’été comme un endroit de communion entre les tribus, alors que celles-ci passent le plus clair de leur temps à s’ignorer une fois sur le site. Et on ne vous parle même pas de leur désinhibition à tous bouts de champs, alors que le festivalier européen vit dans l’illusion d’un « espace de liberté » quand il fout les pieds dans l’enceinte d’un festival où on ne peut faire que ce que l’organisateur daigne nous laisser faire, et ça se résume souvent à pas grand-chose.
Quoi qu’il en soit, en visionnant le documentaire American Juggalo du réalisateur Sean Dunne, on comprend également qu’on a beau raconter à nos potos qu’on a déjà pas mal abusé dans notre life, on se dit qu’on ne tiendrait pas une journée à un Gathering of the Juggalos, qui ferait passer le plus apocalyptique des Dour Festivals pour une convention de fans d’André Rieu.
Bref, si la perspective de voir défiler pendant une bonne vingtaine de minutes une galerie de personnages tous plus effrayants/flippants/hilarants les uns que les autres vous emballe, American Juggalo est fait pour vous. Entre la gonzesse qui ne va pas quitter sa caisse parce qu’elle est trop pétée à la vodka et à l’ecsta, celle qui est « high on life » alors qu’il est clair qu’elle a confondu le paquet de Tic-Tac et le sachet de MDMA, le gros lard qui ne sait pas aligner trois mots sans mettre un « fuck » au milieu, celui qui a rencontré un chirurgien sur le site ou la gonzesse qui trouve ça normal de fumer enceinte de 6 mois, on a l’embarras du choix. Et puis surtout, si un jour on a des gosses, on espère qu’ils ne finiront pas comme les abrutis que l’on croise dans ce documentaire - rien que la coiffure de ces gens, ça te fout le cafard pour trois heures. Tiens, on leur montrera même ledit documentaire quand ils ne seront pas sages, un peu comme nos daronnes nous disaient que l’on finirait comme cette pauvre caissière du supermarché si on ne travaillait pas bien à l’école - on n'a rien contre les caissières, on le souligne. C'est plutôt nos parents qui avaient le chic pour trouver des arguments d'un goût douteux. Un peu comme le style de vie des Juggalos. La boucle est bouclée, vous pouvez appuyer sur play.