Mets le feu et tire-toi
James McBride
Une flamme incandescente, des costumes bigarrés, une série de mouvements, d’esquives, de la sueur, de la royauté, quelques coups de cuivres, une révolution qui s’est emparée des cœurs, des esprits et de la musique sous tous ses domaines : James Brown a fait trembler le monde. « Et c’est le même homme dont les quelques mots griffonnés sur une serviette de table en 1968, Say it loud, I’m black and I’m proud, allaient d’un seul coup changer l’image que toute une nation noire avait d’elle-même. » Il ne reste pourtant du monument qu’une ombre insaisissable. Avec Mets le feu et tire-toi, James McBride n’avait cependant pas comme intention première de venir corriger le tir, de rectifier la foule d’études incorrectes sur l’artiste. Il existe une poignée d’ouvrages valables à son sujet – comme l’auteur le reconnaît – bien qu’il leur manque néanmoins le miracle élucidé, la certitude d’une vie cernée ; la vérité. James McBride ne s’est pas lancé non plus dans cette investigation pour évoquer enfin son idole. « Disons-le franchement, j’avais besoin de ce fric. » L’écrivain était simplement là au bon moment pour recevoir le bon tuyau afin de coucher sur papier l’œuvre qu’on attendait de lui. Une commande, au regard de laquelle il se sent illégitime.
Sauf que McBride est un auteur qui accumule les talents entre une plume superbe, une expérience signifiante de journaliste et de grandes compétences comme saxophoniste jazz. Cette position particulière offre d’ailleurs au roman sa force, rare, puisqu’il ne procède pas d’une volonté de servir le mythe ou l’une de ses formes. Le parrain de la Soul est plutôt envisagé au travers de toutes les questions que lui et l’auteur – afro-américains – ont respectivement rencontrées durant leurs vies, la figure complexe devenant un prisme par lequel passe un regard aiguisé, jeté également sur le monde qui l’accompagne et dont il se fait le héros. Le récit progresse ainsi au gré d’une triangulation entre James Brown, l’Amérique et le narrateur, sans que ce dernier ne se mette en scène avec complaisance – qualité peu fréquente dans ce type d’œuvre où l’Autre sert habituellement de prétexte à la mise en valeur de sa propre personne. Chacune de ses interventions émerge avec pertinence dans un propos humble, utile et sensé, mais surtout, dans un style magnifique qui parvient à se saisir du visage désastreux de l’Amérique, à l’aide d’une langue puissante, d’un roulement d’images dont les représentations ciselées débouchent presque toujours sur une réflexion sociale juste, même lorsqu’elle se charge d’une colère parfois bouillante, souvent salutaire. Il s’agit par là même de proposer une sorte de manifeste en l’honneur de la culture populaire, issue pour bonne part de talents afro-américains tombés dans l’oubli, qu’il convient de protéger aujourd’hui. En définitive, au-delà d’une biographie soumise à l’investigation rigoureuse qui fournit ici l’un des meilleurs travaux sur l’artiste, Mets le feu et tire-toi évoque le milieu de la musique dans ses détails, aux côtés de Maceo Parker, Stevie Wonder, Grover Washington Jr et pleins d’autres ; il se charge de raconter les quartiers, les états et la nation éclatée ; il dit la beauté d’une foule de vies rayonnantes en commençant par la flamme la plus visible.
MCBRIDE (James), Mets le feu et tire-toi. À la recherche de James Brown et de l’âme de l’Amérique.
Paris, Gallmeister, 2017, 336 p.