Dire que Vîrus n’est pas reconnu à sa juste valeur est tout sauf exagéré. Dans une galaxie hip hop qui vit plutôt bien son renouveau indé en France (qu’on parle de 1995, Hugo Délire, Fuzati ou Orelsan), notre hôte du jour apparaît ici comme un clown triste, un poil esseulé. Pourtant, il n’a rien à envier aux quatre précités. Une injustice qui ne choquera pas le emcee français tant sa vision du rap game – pour le peu qu’il en parle – est sombre et pessimiste. Plus que le rap jeu, ici il sera question de loose au quotidien, de déceptions partout et tout le temps, avec un sens de la punchline quasi exclusif au beau milieu de la scène française. Chaque ligne est une claque et chaque titre un hymne tranchant, conté par un baisé du crâne au réalisme effroyable. Quatre EP’s (les trois premiers rassemblés dans l’excellent LeChoix Dans La Date, le quatrième sorti tout récemment) au succès inversement proportionnel à leur qualité, et un Vîrus serein sur son destin. Au moment de dévoiler les dix titres qui l’ont le plus marqué en tant qu’artiste ou personne, Vîrus aligne en toute simplicité des craquages entre amis, des histoires de sessions plus ou moins discrètes avec des potes producteurs. Des histoires de grands frères, de boom-bap à l’ancienne. Pas de grandes déclarations, mais le récit d’une carrière menée à la cool, entre collègues. Alors il peut rester le mec discret qu’il est autant qu’il veut, nous on continuera de le suivre de très près et à la considérer comme l’un des meilleurs emcees de l’Hexagone. Prend ça Maitre Gims.
Serge Gainsbourg
Evguenie Sokolov
C’est typiquement le genre de titre qui a marqué mon enfance. Il n’y avait pas beaucoup de disques chez nous mais celui-là m’a marqué parce qu’il avait le mérite de nous faire marrer. Il fait partie de mon héritage culturel, comme d’autres titres de Gainsbourg, de Bob Marley, de Pink Floyd ou des chansons paillardes. C’est un morceau où j’aurais vraiment kiffé avoir eu l’idée avant.
Public Enemy
Give It Up
Malgré l’aspect tubesque de « Give It Up », c’est sûrement un des titres les plus importants qu’il m’ait été donné d’écouter. C’est mon grand frère qui m’a fait écouter le CD 2 titres en 1994. J’étais un gamin. C’est à ce moment-là que j’ai appris qu’il suffisait de retirer un simple antivol pour se barrer avec le disque du magasin. Dès que j’ai su ça, ma discothèque a commencé à se garnir. En quelques semaines, j’avais tout un tas d’albums de l’époque. Au départ, vu que j’y connaissais que dalle, je volais tout ce qui portait le logo « Parental Advisory », et je me retrouvais autant avec des trucs de métal que les premiers albums de Busta Rhymes ou Method Man. Mon initiation a commencé comme ça.
2 Pac feat. Rappin’ 4 Tay
Only God Can Judge Me
Au collège, en mode West Coast, j’écoutais le premier Dogg Pound et All Eyez On Me, entre autres choses. Un jour, la prof’ de musique nous demande de rapporter un morceau qu’on écoute. Un peu naïf, je sors le CD de 2 Pac, et je lui dis : « la 10 ». C’est, de mémoire, la première fois qu’un morceau de rap se confrontait à l’institution dans mon cursus. J’ai vite compris. Elle coupe au refrain et dit un truc du genre : « Drôle de symphonie… ce n’est pas de la musique, ça ! » avec une expression outrée. Si j’avais pu lui enfoncer une flûte ou un glockenspiel dans le cul pour voir comment elle joue, ça aurait été un plaisir.
J-Live
Braggin’ Writes
J’ai découvert ce morceau sur la mixtape Lesson 1 de Slurg, alors que je devais avoir 14 piges. Vu que je lisais jusque dans les recoins les magazines peura à l’époque, je ne sais plus si c’était dans RER ou Radikal – que je volais aussi du coup - que j’avais vu un « gars du coin », Normand en tout cas, qui sortait des mixtapes « faites à la main ». Je me suis démerdé pour pouvoir en commander quelques-unes dont la Lesson 1. Dans cette mixtape, Slurg donnait quelques explications sur les morceaux dans la jaquette. Du genre, « Dans ce morceau J-Live rappe et scratche en même temps ». J’ai grave kiffé l’anecdote et c’est à partir de ce genre de titres et d’infos que j’ai été encore plus captivé par le truc, à un moment où l’école te casse déjà grave les couilles et n’arrive surtout pas à t’intéresser. J’ai été séduit par les différentes disciplines de cette culture et c’est surtout là que ma boulimie s’est amplifiée. Il me fallait plus de skeuds.
Big Daddy Kane feat. Scoob, Sauce Money, Shyheim, Jay-Z, Ol’ Dirty Bastard
Show & Prove
Vu mon année de naissance, il m’a fallu découvrir pas mal de disques et d’artistes à rebours. Et parmi ceux qui m’ont le plus choqué – j’ai choppé 3 albums de lui le même jour –, il y a Big Daddy Kane. Sa façon de rapper… sans commentaire. Ce morceau, en mode « posse cut », m’a traumatisé. Y’a qu’à voir le casting et la compétition niveau flow. L’entrée de Jay-Z… sans commentaire. Des années plus tard, je ne m’en suis toujours pas lassé.
Gauge, The Mental Murderah feat. The Cella Dwellas
Cranium
C’est par la face B du maxi vynil que j’ai découvert ce son, chez un pote de mon grand frère qui s’appelle Dj Weed. C’est chez lui que j’ai posé ma voix pour la première fois sur une cassette, d’abord en scred. Puis un jour, j’écrivais des trucs par-ci par-là, et Dj Weed me dit qu’on va maquetter un morceau – pourquoi? Je ne sais pas mais bon, pourquoi pas. Le premier titre que j’ai enregistré, c’était sur cette face B, en 2000: y’avait couplets, refrain, tout. Ce qui est marrant, c’est qu’après m’être pas mal cherché, et donc perdu, j’en suis revenu aujourd’hui à ce genre de sonorités, de BPM, d’humeur : bien dark et bien indé.
Lalcko
Salive Street
J’ai connu Lalcko via les ambiances rouennaises mais surtout par le biais de mon pote Schlas, le beatmaker que nous avions en commun. « Salive Street », ça doit être une des premières productions de Schlas que j’entendais. Et, Lalcko, au-delà de son charisme, c’est toujours son humain, sa pensée et sa plume qui m’ont inspiré le plus grand respect. Ce genre de morceau a forcément eu un impact et continue d’en avoir sur la rigueur qu’on essaye d’avoir aujourd’hui.
The Nonce
Good to Go
Je ne connaissais pas ce groupe jusqu’à ce que Bachir me parle d’un mix dans un McDo. Au-delà du morceau en lui-même, c’est la mixtape que Bachir a fait autour de ce groupe qui a eu un rôle primordial dans mon parcours et dans ma conception des choses tournant autour de la musique. Beaucoup situent une sorte de renouveau par rapport aux sons pré-2010 au moment de la sortie de l’EP 15 Août mais en réalité, tout est parti de ce mix et par extension de ce titre qui est mon préféré du groupe. Ce projet nous a donné envie de faire des « choses » et c’est aussi à cette occasion qu’on a pu rencontrer Tcho avec qui on bosse l’image et la vidéo aujourd’hui.
Tha Soloist
Nevergreen
C’est un des derniers sons que j’ai le plus écouté. Il fait partie, avec des titres comme « Us vs Them » de Dex aka Riff Raff Mc Griff, de la playlist qui nous chauffe quand on a l’occasion de mixer un peu avant les concerts, comme une sorte de rituel avec de monter. Il m’a été envoyé par Bloody Meth’, un des gars de mon entourage les plus pointilleux en termes de rap. Et puis « Nevergreen » fait aussi partie des quelques morceaux qui ont pris une dimension particulière à mes yeux.
Barbara
Il n’y a pas d’amour heureux
La première fois que j’ai entendu parler de Barbara, c’est par mon pote Schlas qui avait dû la sampler. C’est d’ailleurs grâce au sampling, dans un premier temps que certaines « ouvertures » vers d’autres univers ont pu se faire, notamment la chanson française. Quelques années plus tard, je me suis repenché sur cette artiste et surtout sur ce morceau dont le texte est de Louis Aragon. De toutes les interprétations qui en ont été faites, c’est pour moi la plus puissante. Le texte, le son, la voix, l’interprétation, l’histoire de Barbara, il y a tout dans ce titre pour que je le kiffe à la mort..