Uptown Special
Mark Ronson
Derrière ses airs de personnage ouvert sur le monde, le fan de musique ‘indépendante’ serait-il un connard aux vues bien plus obtuses qu’il n’y paraît? C’est en tout cas ce que l’on pourrait penser de lui à chaque fois qu’un des représentants de la caste qu’il défend a le malheur de se faire happer par les charts ou de vouloir s’y faire une place. Comme si le top 50 était cet endroit infréquentable où il ne faut pas espérer croiser le moindre produit qualitatif vu la redoutable inertie qui y règne et tire à peu près tout vers le bas. Pourtant, ne faut-il pas se réjouir que des gens comme Christine and the Queens ou même Stromae monopolisent les premières places des classements ? Car il va falloir quand même voir les choses en face : ce n’est pas demain la veille que Godspeed You! Black Emperor ou Ben Klock rivaliseront avec la bouse du moment qu’une major aux abois essaie de nous refourguer.
Alors c’est vrai, il faut de temps à autre faire contre mauvaise fortune bon cœur et accepter que des « indé » pas bien méchants réalisent une percée dans les charts en espérant que tous les cousins Kevin de cette planète aient une révélation et se mettent à écouter la musique un peu moins benoîtement que d’habitude. Et à l’heure actuelle, la plus belle porte d’entrée sur le monde dans lequel la plupart de nos lecteurs traînent, c’est le « Uptown Funk » de Mark Ronson, avec du Bruno Mars dedans. Le carton est planétaire et, avouons-le, c’est loin d’être dégueulasse. En même temps, ceux qui suivent un minimum la carrière de Mark Ronson connaissent la propension du producteur anglais à usiner du tube dont l’ADN provient principalement d’un genre qui a connu son heure de gloire quelques décennies plus tôt – sans jamais oublier d’y ajouter sa petite touche personnelle, qui est celle d’un mec qui a bien compris ce qu’est la modernité. Et puis bon, de Lily Allen aux Black Lips en passant par Paul McCartney ou le « Rehab » de Amy Winehouse, ses états de service parlent pour lui.
Si l’inspiration semblait lui avoir posé un lapin sur son précédent disque (Record Collection en 2010), Mark Ronson nous revient en très bonne forme en ce début d’année. Et contrairement à ce que le single susmentionné pouvait laisser penser, le funk ne sera pas l’unique genre à être mis à l’honneur. Non, Uptown Special emprunte également à la pop, au R&B, au rock psyché ou à la new wave – même si les références sont souvent plus diffuses. Comme Pitchfork le soulignait très justement, « the album is actually more like a five-CD-changer shuffle through styles that dominated pop radio while Ronson was still a grade-schooler. » La démarche est clairement passéiste, mais contrairement à ce que Daft Punk nous a fait avec Random Access Memories, il ne se dégage pas du disque ces airs de grandiloquence, ou cette soif de perfection qui gommait toute la sincérité du propos des deux Français. Comme d’habitude, Mark Ronson fait chauffer le carnet d’adresses et convoque une liste d’invités improbables, entre un Stevie Wonder complètement inutile et caricatural, un Kevin Parker de Tame Impala qui apparaît sur l’un des meilleurs morceaux du disque (« Daffodils ») ou Andrew Wyatt, la voix de Miike Snow. Ah oui, et le simple fait que Ronson nous sorte de son chapeau le has been Mystikal et nous le transforme en une sorte de James Brown 2.0 suffit qu’on jette une oreille à Uptown Special.
Dans l'ensemble, Uptown Special est donc un disque qui ressemble énormément aux précédents du Londonien. C'est respectueux des aînés sans pour autant sentir la naphtaline, c'est magnifiquement produit sans pour autant y laisser son âme, et c'est réalisé avec l'ambition de fournir au plus grand nombre un produit résolument pop(ulaire) qui ne soit pas pour autant un ramassis de raccourcis faciles et d'effets de manche pourlingues. Bref, si les charts pouvaient pulluler de trucs comme Uptown Special, peut-être qu'on écouterait un peu plus souvent la radio.