Undun
The Roots
Alors que la troupe emmenée par ?uestlove fête ses vingt ans de carrière, on sent que l'«après J Dilla» a été particulièrement difficile à assumer pour le groupe référence du hip hop instrumentalisé : entre pistes à rallonges, featurings à gogo et refrains chantés étouffants, la nouvelle direction de The Roots aura clairement tardé à montrer son réel potentiel jusqu'à l'inégal mais charmant How I Got Over en 2009. L'arrivée dans nos bacs d'Undun, leur onzième album, va-t-elle finalement nous réconcilier avec ce virage moins rap que soul et si caractéristique de leurs dernières livraisons?
La productivité paie, et The Roots en est la preuve idéale: entre un album tous les deux ans, des collaborations diverses et variées (on a pu retrouver ?uestlove aux manettes des derniers très bons albums d'Erykah Badu et Slum Village), des tournées sans fin et un rôle de backing band pour la quotidienne de Jimmy Fallon, on en est presque venus à excuser les légères baisses de régime de Game Theory et Rising Down, pénibles reliques du décès de James Yancey – le principal responsable de leur inimitable identité sonore. Témoignage d'un groupe qui, à l'instar des Beastie Boys, n'a plus rien à apporter au genre sans perdre de sa pertinence, Undun n'en demeure pas moins un insoupçonné grand cru qui ne trahit pas une recette déjà appliquée, mais qui vient plutôt l'affiner.
Guidée par les pensées de Redford Stevens, l'enfant-criminel imaginaire que mettent en musique les Philadiens, la narration de Undun fait figure à la fois d'exemple et d'exception dans leur discographie. Le groupe exploite ainsi le moindre espace laissé par cette position pourtant restreinte de concept-album pour gagner une respiration instrumentale et lyricale qui sert à merveille le storytelling de ce mélodrame bourré d'images qui prend sacrément les tripes pour peu que l'on soit un peu anglophile. Cerise sur le gâteau, le groupe se laisse aller, avec l'aide bienvenue de Sufjan Stevens à quatre précieuses pistes instrumentales, prologue au récit de Black Thought et de ses collègues MCs, qui laisseront l'issue du dernier couplet de l'album à l'interprétation propre de l'auditeur. On finit l'album les larmes aux yeux et une boule au ventre, avec l'impression d'avoir rarement pris une telle baffe en écoutant les Roots, et pour cause: on est probablement face à leur plaque la plus aboutie.
Œuvre de genre esthétiquement et musicalement sans fausse note, Undun est une réussite totale qui tend à prouver une fois de plus que les futs de ?uestlove ne sont décidemment pas du même bois que celui d'autres vieilles branches du double H. Disque quasi-cinématographique qui vise à s'affranchir de l'étiquette rap, il est aussi l'album le plus court des Roots à ce jour, troquant sa réglementaire heure de musique contre quarante minutes bien pesées. Et que celui qui pense que quantité rime avec qualité nous jette la première pierre. Car croyez-nous, c'est mieux.