The Neon Skyline
Andy Shauf
J’ai la quarantaine accomplie, mais il m’arrive de traîner dans des endroits où je peux sentir les regards de post-ados se demandant ce que ce mec grisonnant peut bien foutre là. Qu’on parle d’une soirée avec AZF ou d’un concert de Koba LaD, il y a probablement dans la démarche, outre l'envie d'aimer une musique que je n'arrive pas à apprécier comme il le faudrait simplement parce qu'elle n'a pas été pensée pour ma génération et mon background, un besoin naturel de rester en contact avec cette frange de la population qui n’a pas encore pour principaux centres d’intérêt le choix des stages estivaux de la descendance ou le marché des taux d’intérêt dans l’optique d’un prêt immobilier. Mais tel Roger Murtaugh, serais-je « trop vieux pour ces conneries » ? Le simple fait d'invoquer le personnage d'un film sorti en 1987 devrait suffire à mettre fin au débat, mais cela voudrait dire passer à côté du nouveau disque d’Andy Shauf, bande-son idéale à ce questionnement de type dont la coolitude et le contact en prise directe avec la jeunesse s’érode plus inexorablement que la cote de popularité d’Emmanuel Macron.
Car oui, Andy Shauf écrit des chansons pour les rangés des voitures qui nous lisent et qui ne trouvent plus vraiment leur place dans des endroits où ils aimeraient tant se sentir pertinents. Un trentenaire Canadien qui parle à tous les quarantenaires du monde qui ont vécu une époque où Elliott Smith était signé sur une major en partie détenue par Steven Spielberg, et où l’on pouvait vendre plein de magazines en mettant sa tête toute tristoune en couverture. D’ailleurs, depuis son second album The Party, c’est clairement dans les traces laissées par le singer-songwriter à sa mort qu’Andy Shauf semble marcher, pondant de courtes mélopées pop-folk tirées au cordeau. Et pour vraiment caresser dans le sens du poil le vieux con qui méprise la génération Z soumise au diktat des algorithmes (coucou ce pote que t'as envie de gifler quand il te raconte ça en sirotant son Gin To à l'afterwork), Andy Shauf propose un disque qui est aussi une nouvelle : les onze titres de The Neon Skyline racontent la soirée d’un type dans son bar favori à repenser à une ex. Et dès le premier titre, ça parle de boire du Merlot. Si vous n’avez pas encore de cheveux blancs, ils pousseront pendant l’écoute du disque. Quant à Andy Shauf, aussi doué soit-il, on se demande pourquoi à son âge il pond déjà des disques pour des gens dix ans plus vieux que lui, quand on voudrait qu'il utilise l'argent de son contrat avec le label ANTI- pour prendre du GHB dans un squat du Kreuzberg en écoutant Gabber Modus Operandi.
Jusqu’ici, cette chronique ressemble méchamment aux pitoyables réflexions d’un type frustré qui ferait mieux d’aller boire sa verveine au lieu de nous parler de sa déchéance dans la pyramide du cool. Ce qui revient à ne pas placer The Neon Skyline sous un jour favorable. Et c’est fort regrettable. Car il faut reconnaître à Andy Shauf un réel talent de songwriter, de chanteur et d’arrangeur. Disque qui n’a peut-être pas vraiment sa place dans son époque, The Neon Skyline n’en reste pas moins un petit bijou de folk-pop empreint de bons sentiments, voire même d’une certaine bonne humeur que la prémisse du disque ne laissait pas forcément entrevoir. En réalité, si la perspective de passer une soirée à écouter un pote ressasser un amour perdu n’emballe personne, Andy Shauf parvient à nous convaincre du contraire, en instaurant un sentiment de familiarité et de proximité qui s'installe dès le premier titre (au demeurant imparable, comme tant d'autres plus loin) pour ensuite nous coller au baskets comme un vieux chewing gum. La confiance installée, on prend un réel plaisir à l'écouter nous raconter cet amour perdu comme si on se connaissait depuis l'enfance, comme si on comprenait tout ce qu'il lui arrive parce qu'on a été les témoins de cette relation qui s'est lentement distendue. Le disque OK boomer du mois, haut la main.