The Marshall Mathers LP 2
Eminem
Lecteur, quel âge avais-tu en l'an 2000 quand Eminem soufflait sa 28ème bougie en lançant un missile nucléaire qui allait pour un temps l'installer au sommet du rap et au firmament de la musique, infligeant au hip-hop ce qu'Elvis avait fait subir au rock'n'roll en son temps? Comme le King, Eminem a connu la gloire et la reconnaissance critique pour avoir redéfini musicalement et sociologiquement tout un genre, faisant entrer le rap de force dans les chambres des petits américains de la classe moyenne qui se sont plus facilement reconnus dans ce blanc bec dégingandé que dans toute la West Coast réunie. Et comme Elvis, il a connu les excès, la drogue, la chute et les tentatives de rédemption. Et même si le succès commercial a toujours été plus au moins au rendez-vous ("Love The Way You Lie" avec Rihanna, plus gros succès de l'année 2010), il est difficile de retrouver ce qu'on ressentait quand, adolescent ou jeune adulte, on poussait à fond "The Real Slim Shady" dans la voiture en récitant par cœur les couplets.
The Marshall Matters LP 2 est donc la tentative pour le bad boy de Detroit, en donnant une suite à son plus grand classique, de retrouver les chemins d'une certaine qualité musicale, tout en surfant sur un parfum nostalgique qui, il faut le dire, ne lui sied pas très bien. Et les suites, c'est un lieu commun, ont rarement le potentiel de leur glorieux prédécesseurs: pour un L'Empire Contre Attaque, combien de Matrix Reloaded tout nazes ? Sans oublier que de The Blueprint 2 à The 20/20 Experience part 2 of 2 le petit monde du hip-hop a déjà largement montré les limites de l'exercice. Tout cela pour dire qu'on était relativement sceptiques à la rédaction avant de déballer de son plastique cette nouvelle galette du blond platine.
Et on avait raison de l'être, même si l'on ne se rend pas immédiatement compte de l'escroquerie. L'introductif "Bad Guy", la suite de "Stan" où le frangin du glorieux suicidé revient se venger, est porté par une production en deux mouvements dont les épiques dernières minutes nous donnent même un frisson de plaisir, bien que le refrain putassier nous fasse regretter Dido. Une piste plus loin on sauve aussi "Rhyme or Reason" et son sample d'un classique des Zombies mis en musique par notre chouchou Rick Rubbin.
Mais à partir de "So Much Better" les choses se gâtent sérieusement pour rapidement sombrer dans les limbes d'un rap mainstream à l'affligeant conformisme, malheureusement marque de fabrique d'Eminem depuis Relapse. On a déjà dit dans ces pages tout le mal qu'on pensait des premiers singles lancés en éclaireur il y a quelques semaines, "Survival" et "Berzerk", et force est de constater que jusqu'à la fin de ce trop long album la qualité du disque est du même tonneau. Le manque de prise de risques répond à l'ennui qui s'installe: les refrains chantés pourris ("Survival", "Legacy", "Asshole", "Stronger Than I Was", "The Monster", "Headlights") se suivent et se ressemblent, étouffant les quelques punchlines qu'Eminem arrive encore à placer. "Rap God" et ses fameux 100 mots en 16 secondes nous permettent de mesurer le temps d'un sursaut technique à quel point Eminem a été plutôt qu'est, tout en faisant montre de peu d'âme. Même la présence de Kendrick Lamar en fin d'album sur le poussif "Love Game" ne parvient pas à nous tirer de la torpeur indifférente qui nous a envahis. La toute dernière piste, la bien nommée "Evil Twin", clôture pourtant la galette sur du grand Eminem à l'ancienne, qui canarde à tout va sur l'industrie d'hier et d'aujourd'hui, des Backstreet Boys à Lady Gaga. Six minutes juste suffisantes pour nous faire regretter ce que ce disque aurait pu être.
C'est peut-être générationnel, voire une question d'époque, et c'est sûrement une question de qualité, mais quand on voit à quel point de good kid, m.A.A.d city à Doris en passant par Nothing Was The Same ou bien sûr Yeezus les douze derniers mois ont été généreux en grosses sorties de qualité, on se dit qu'on n'a plus vraiment besoin de s'attarder sur le cas Eminem, même si on gardera toujours une place dans notre cœur pour le formidable rappeur grinçant de "The Way I Am", "Kim" ou "Kill You". The Real "Real Slim Shady" en somme.