Tha Carter III
Lil Wayne
Aborder Tha Carter III a quelque chose de paradoxal: écrire une chronique pour le disque le plus vendu de 2008 n’a plus rien de promotionnel, et pourtant le propos tentera de rester lucide et impartial. Alors pourquoi bon dieu aller plus loin dans cette tentative d’analyse alors que bon nombre de rédacteurs m’ont ici anticipé ? Peut-être tout simplement parce que cette troisième livraison de Lil Wayne est tout simplement exceptionnelle. Exceptionnelle à bien des égards d’ailleurs. Le chemin était censé s’arrêter ici: trois disques pour une trilogie Tha Carter qui compte comme une balise dans le hip hop dirty south, trois disques qui ne font finalement que consacrer la place centrale qu’occupe Lil Wayne dans ce rap jeu américain.
Les sorties typées « crunk » sont légion aux States et on est en droit de se demander ce qui fait encore la différence entre une bonne sortie et un navet de seconde zone. L’implication et le talent, on ne le répétera jamais assez. Et à ce jeu, Waynee distance de loin le reste de la troupe. Ses productions sont deux crans au-dessus de la moyenne, son flow abrite une éloquence qui décapite tous ces débits monotones, son attitude à mi-chemin entre le millionnaire (qu’il est) et le gardien du peuple d’en bas lui donne une crédibilité indiscutable. Et pour passer d’une saynète à une autre, Lil Wayne revêt moult costumes, n’hésite pas à imager ses propos de situations loufoques - ici il est tour à tour chirurgien, extra-terrestre perdu sur terre ou amoureux transi d’une femme policier.
Mais le costume qui lui convient le mieux est encore celui de « Best Rapper Alive », titre qu’il s’était lui-même décerné il y a de ça quelques albums maintenant. Affirmant que de son vivant il serait la référence ultime en matière de hip hop, Lil Wayne mettait tout le monde au diapason, exaltant le cœur de fans comme les foudres de ses concurrents. Force est de constater que le fond comme la forme sont présents de bout en bout pour croire, ne serait-ce qu’un peu, à cette suprématie du requin de la Louisiane.
La forme est soignée de manière maladive; passant de productions pour millionnaire (« A Milli », « Got Money », « Lollipop », « You Ain’t Got Nuthin ») à des hymnes souls (le magnifique « Tie My Hands », « Let The Beat Build » concoctée par Kanye West, « Mrs Officer ») Waynee enclenche son ascension dans des conditions de rêve et gravit les paliers avec une assurance de tous les instants. Même les collaborateurs prestigieux (Jay-Z, T-Pain, Busta Rhymes, Babyface) ne parviennent pas à faire oublier la présence de Carter tellement celui-ci est imposant à notre vue. En ce sens, Lil Wayne produit un blockbuster au casting monstrueux dont il est au final la seule star incontestable. Chaque parcelle de ce disque est dégoulinant de l’esprit créateur du emcee de la Nouvelle-Orléans. Comme il aime le rappeler dans « Phone Home », le rap jeu est son supermarché, sauf que son caddie est gros comme un Hummer et que sa carte bleue est faite d’or. Difficile de faire mieux.
Ceci n’étonnera personne de savoir que ce disque est une usine à tubes, des singles partant dans diverses directions pour caresser son auditeur dans le sens du poil sans jamais lasser, tâtonnant sur chaque nouvelle piste pour mieux parader sans jamais tomber. Une musique populaire en somme. Bonne cette fois-ci. Revient alors la comparaison qui fâche. Waynee, digne successeur du « King Of The Pop » ? On pourrait le penser: plus que pour sa sexualité ambiguë (pas de biatch dans ses clips) ou sa passion controversée pour les enfants, Lil Wayne a ceci de commun avec Michael Jackson: sa propension à user de son image, à vendre une musique accessible et pourtant excessivement fouillée à des millions d’auditeurs sans jamais pouvoir contester, de quel côté qu’il soit, le talent et la musicalité qui émanent de ces deux superstars.
Un rire qui vaut des milliards de dollars, un disque qui a mis l’industrie musicale à genoux, une nouvelle sortie qui change l’image que nous renverra l’année 2008 dans les temps à venir, un MySpace visité presque deux cent millions de fois, une trilogie qui se termine alors qu’elle semble faite pour continuer cent ans, un personnage aux mille visages, un cannibale qui a remplacé le Christ de Rio dans sa quête du monde, le disque le plus vendu de cette année écoulée et peut-être le plus inspiré aussi, le visage souriant d’une région dévastée des Etats-Unis, l’ultime arrogance d’un genre immoral, la créativité incarnée. Tha Carter III est tout cela à la fois et même plus. Alors Lil Wayne, Best Rapper Alive ? Qui oserait encore en douter?