Sur La Route de l'Ammour 2: Mémoire De Mes Putains Tristes
Hyacinthe
Si vous nous suivez depuis longtemps, vous savez que notre rédaction est divisée lorsqu'il est question de rap. Pourtant, il a deux ans, un album avait réussi l'exploit d'unir toute la rédaction: ce disque, c'est le Sextape d'Orties. Une projet que notre Denis national a pris un malin plaisir à crucifier. Le genre d'album dont on ne se voyait pas reparler un jour, surtout pour évoquer un bon disque. Et pourtant, nous allons le réhabiliter: non pas pour revenir sur les vertus mal comprises du duo, mais pour saluer la qualité visionnaire qu'il a pu avoir à sa modeste échelle. On s'explique: on croise sur ce disque deux acteurs qui ont marqué, à leur façon, cette année de rap français: Frensh Kyd d'abord, a qui on doit (entre autres choses) la production étincelante du premier EP de Rufyo ; et Butter Bullets, à qui on doit l'inégal Memento Mori. Deux projets marquants, et qui ont en commun quelque chose d'infiniment décomplexé. Et que, fatalement, les médias se sont chargés de regrouper sous une bannière aux allures de racisme ordinaire: "le rap de blanc".
Cette fameuse scène de niche, elle ne s'appuie sur aucune œuvre définitive en France. Mais elle est extrêmement ambitieuse dans son contenu et sa recherche: elle envie la street crédibilité de Niro, mais aimerait bien donner dans des roucoulades dignes d'un Justin Bieber. De fait, elle s'éparpille dans une création prolifique, obnubilée par l'envie de concilier des extrêmes inconciliables. Mais si elle peine à cacher la maladresse de sa démarche, c'est sa sincérité qui finit quand même par payer sur le long terme. L'auditoire rap, lui, continuera de demeurer divisé sur la question d'adhérer ou non à ce phénomène qui gagne en ampleur.
Maladroit et sincère, c'est justement deux termes assez récurrents pour parler du travail de la clique DFHDGB, cheffe de file de cette troupe d'innovateurs. Si leur laboratoire n'est pas à l'abri du grand écart (de trop), elle ne donne jamais dans le surplace: en mai dernier notamment, L.O.A.S avait sorti un EP solide, entre poésie macabre et défouloir sous acides. Une vraie réussite doublée d'un apéritif de première bourre avant le retour de Hyacinthe qui, après avoir brillé chez les autres, allait avoir la lourde tâche de faire aussi bien sur son propre album.
Sur La Route de l'Ammour 2, c'est un peu l'équivalent français de Dirty Sprite 2: la preuve qu'on peut appeler album un produit qui se réclame comme la suite logique d'une mixtape. S'il a renoncé aux libertés qu'offre ce format, Hyacinthe a eu la bonne idée de s'imposer une certaine forme de continuité, que ce soit en renouant avec ses thèmes de prédilections – l'absence du père, l'ennui, la monogamie – ou en restant fidèle aux usual suspects qui l'accompagnent depuis trois ans. Et sa bande de potes le lui rend bien: Krampf, Robotnik ou Holos Graphein sont aux petits soins pour mettre en musique les textes de leur sale gosse de pote.
Voilà pour la continuité. Tout le reste ne sera que rupture: le Parisien n'est plus le jeune MC qui rappe sur des faces B dans sa chambre. C'est aujourd'hui un demi-adulte magnifique, toujours aussi remonté contre l'humanité, et qui a musclé son jeu pour assumer la parenté de son produit. Son écriture est moins inégale, sa musicalité s'est développée, et les risques sont payants. Ce deuxième volume ressemble en tout cas à ce qu'il a sorti de plus abouti depuis Des Hauts, Des Bas Et Des Strings.
Le résultat: c'est un disque sombre, qui ressemble comme deux gouttes d'eau à son géniteur. Il n'y guère que cette désagréable impression d'avoir affaire à un disque de transition pour calmer notre enthousiasme: on sent que Hyacinthe se situe dans une période charnière où l'âge adulte n'est pas encore consommé, et sa crise d'adolescence pas tout à fait terminée. Deux sensibilités qui se font la nique, et qui d'un texte à l'autre ne parviennent pas à se conjuguer. L'adolescent vulgaire qui sévissait sur le premier volume malmène épisodiquement son cadet. Et c'est forcément dommage quand on voit à quel point le Hyacinthe de 2015 peut occuper un créneau dans lequel il est seul.
Si Sur La Route de l'Ammour 2 est un projet qui tient ses promesses, on a l'impression que son écriture s'est étalée sur trop de temps. On soupçonne même que cet opus ait trop tardé avant de finalement s'offrir à nous, ou qu'il ne lui manquait que quelques mois avant de proposer un produit plus définitif. Un tant pis qui, malgré lui, résonne comme un tant mieux: c'est la preuve parfaite que Hyacinthe vieillit bien. Et que ce premier album résonne comme le plus parfait au revoir à l'avatar pubère qu'il incarnait il y a encore deux ans.
Il semble en tout cas plus prêt que jamais à s'adresser à un auditoire plus vaste, plus mature, à l'heure où jamais les regards n'ont autant été tournés vers lui. Il n'en reviendra que plus fort encore, c'est une certitude.