Starboy
The Weeknd
Le storytelling autour de la musique de The Weeknd a quelque chose de fascinant : passé d'égérie de la sphère indie à blockbuster pop sur pattes en l'espace de quelques années, Abel Tesfaye nous a quelque part vendu l'étape finale de sa mutation avec son nouvel album, Starboy. Mais il y a plus que ça : l'esthétique mise au point par le Canadien sur sa trilogie de mixtapes de 2011 (House Of Balloons, Thursday et Echoes Of Silence) a aujourd'hui infiltré l'ensemble de la pop music mondialisée.
Le mystère, le nihilisme, la posture névrosée, les sorties impromptues... Tous ces éléments se retrouvent aujourd'hui un peu partout chez les figures de proue des charts internationaux. On pense à Rihanna et Beyoncé - les parti-pris arty, intimistes, à fleur de peau, de leurs derniers albums évoquent les atmosphères chères au Canadien - mais aussi à Travis Scott, par exemple, qui est né dans le monde façonné par The Weeknd. Le plus beau dans tout ça ? Pendant que l'ensemble du gotha US s'agglomérait autour de l'esthétique du chanteur de Toronto, lui s'en émancipait pour aller tutoyer les étoiles, l'éternelle pop, celle qui prend le cœur et les jambes pour faire vibrer les arenas.
Ce fut "Can't Feel My Face" bien sûr, aussi funky qu'extatique, rouleau compresseur pop, produit par le grand manitou du genre, le Suédois Max Martin, l'homme derrière les succès de Britney Spears, Katy Perry et Taylor Swift. Aussi, quand on a appris que Starboy avait été inspiré par Bowie, Prince ou The Smiths - soit ce que les années 70/80 ont fourni de plus mémorable en termes d'étrangeté pailletée aujourd'hui inhérente au genre pop - on s'est dit que le natif de Toronto allait enfin finaliser sa mue en Michael Jackson des années 2010.
Face à l'ampleur de la tâche, Abel ne pouvait que faillir. Si le Starboy parvient à maintenir l'illusion le temps des 4 premiers titres de son album (l'implacable titre éponyme, l'un des morceaux de l'année 2016, mais aussi "False Alarm", et son refrain en forme de train lancé à grande vitesse), ses ambitions s'effritent rapidement au fur et à mesure que la tracklist défile. Pour accomplir ses objectifs, il aurait fallu qu'il taille plus clairement dans le vif. Ici, il cherche à concilier ses différentes identités dans un entre-deux un peu soporifique.
En ce sens, Starboy est à rapprocher du Views de son copain Drake, un medley de tout ce qu'a pu proposer The Weeknd durant sa carrière. En moins bien. Des inflexions de voix eighties de "Secrets" à l'ADN purement rap de "Six Feet Under" avec Future (et co-produit par Metro Boomin), on a ici affaire à une dizaine The Weeknd différents, sans que le chanteur ne parvienne à créer de véritable liant entre eux. Sur le chemin pour écrire sa légende, on dirait que le Canadien s'est tout simplement perdu en route.
Tout au long des 68 minutes que dure l'album, on parvient quand même à trouver quelques bons moments : le premier quart donc, auquel il faut ajouter les chouettes "Ordinary Life" (qui évoque Sade et son "No Ordinary Love"), "All I Know" et la conclusion "I Feel It Coming". Maigre. Ou peut-être que cet album porte tout simplement bien son nom, Starboy, et prouve qu'en termes de pop, Abel Tesfaye est encore un petit garçon...