Sextape
Orties
Il y a quelques mois, au milieu d’une discussion musicale interrompue par des exemples illustratifs, on m’avait fait écouter un morceau intitulé “Amy Winehouse est morte”. J’avais manifesté une curiosité polie. Et puis, je m’étais dit que, au-delà de la pauvreté musicale de l’ensemble et de la gêne provoquée par ces “ouais, ouais ! han!” dignes d’une parodie de Benny B, le texte renvoyait à l’imaginaire d’une gamine de seize ans qui voudrait jouer les pétasses par défi, mais ne parviendrait à étaler que sa maladresse et l’artificialité de sa posture. Bon, c’est vrai que ça fait au moins seize ans que les deux jumelles d’Orties n’ont plus seize ans, mais ce n’est pas bien grave, au fond : le syndrome de Peter Pan n’est pas la tare la moins présente au sein de l’industrie musicale, et n’est pas la moins sympathique non plus. Ce qui est un peu plus inquiétant, c’est la réputation que les demoiselles sont actuellement en train de se tailler grâce à leur Sextape.
Dotées d’un flow plus insupportable que celui d’un Teki Latex sous Xanax, Antha et Kincy y multiplient les thématiques soi-disant trash. Il est aujourd’hui impossible d’échapper à “Paris pourri” et “Plus pute que toutes les putes”, à leurs instrus hyper cheap et à leurs paroles affligeantes de connerie. Car, entendons-nous bien, ce qui pose problème n’est pas tant à chercher du côté d’allusions sympathiquement vulgaires comme “Pour la nuit d’noce, je vais t’noyer dans la piscine / J’boufferai tes os, tu t’étoufferas à la cyprine” que de punchlines désespérément creuses du genre “Entre nous ça n’a pas duré / C’est d’ta faute, t’étais trop laid” ou d’aphorismes comme “J’m’en fous du 69 / Je veux juste du 6-6-6”, qui rappellent (pardon pour la référence) Satania et Demono d’Elie Semoun et Frank Dubosc. À écouter cette Sextape, on n’est pas tant, comme le cherchent les deux Orties, outré parce que l’album dégage un parfum de menstrues et goûte la coke trop coupée, on est, plus simplement, consterné par la qualité médiocre du disque et par l’imbécillité qui s’y trouve concentrée. Et on est encore plus sidéré quand on découvre que le cocktail des Parisiennes parvient non seulement à enivrer certains naïfs, mais qu’il en vient même, quelquefois, à être comparé aux prises de position du Femen et des Pussy Riot. Si le seul fait de poser une égalité entre ces deux derniers mouvements activistes est un amalgame trop fréquent, y associer les Orties est une hérésie. Ça équivaut plus ou moins à faire de Lorie une descendante de Cicéron (bah quoi, ils évoquent tous les deux l’amitié !). S’il faut forcément trouver des projets intellectuels auxquels comparer le duo, ils sont plutôt à chercher du côté de la philosophie de l’angélique Nabilla. L’analogie peut d’ailleurs se filer sur le plan musical puisque le minimalisme d’Orties n’est pas complètement sans rappeler l’excellent titre dédié à la théoricienne du swagg par son cher et tendre.
Plus nuancé, le point de vue adopté par l’ex-hardeuse Ovidie empêche qu’on tienne totalement les Orties pour quantité négligeable : pour résumer, en réaction à des textes comme ceux de “Dans le club” et “Girlfriend” de TTC, on peut comprendre le projet. Une sorte de réponse féminine à un discours qui, même énoncé au second degré par un type aussi éloigné des canons de beauté que Julien Pradeyrol, n’en véhicule pas moins une axiologie machiste. Dans cette logique-là, qui viserait à combattre le mal par le mal (ou, plutôt, la connerie par la connerie), à la limite, ça peut se tenir. Mais il n’empêche que les deux titres de TTC susmentionnés, sont, contrairement à toute la discographie d’Orties, fondés sur des beats imparables. Sans ça, ça devient vraiment dur à défendre. Et la vie est trop courte pour écouter de la merde, même au second degré.